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Compteurs Linky : EDF et Engie mis en demeure par la Cnil pour leur collecte de données

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Des sanctions sont susceptibles d'être appliquées si Engie et EDF ne se mettent pas en conformité d'ici trois mois.
La Cnil met en demeure EDF et Engie dans une décision rendue publique ce mardi 11 février pour avoir récolté des données personnelles de consommateurs via le compteur électrique Linky. L'institution invite les deux entreprises à se conformer au règlement d'ici trois mois, sous peine de sanctions.

Votre compteur électrique veille... parfois un peu trop. Pour y remédier, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) met en demeure, dans une décision rendue publique ce mardi 11 février, EDF et Engie pour "non-respect de certaines conditions de recueil du consentement concernant les données des compteurs communicants"Linky, et pour une durée de conservation excessive des données. L'institution invite les entreprises à se conformer rapidement au Règlement général sur la protection des données (RGPD), entré en vigueur en mai 2018. Si elles ne le font pas d'ici 3 mois, des sanctions sont susceptibles d'être appliquées.

NIVEAU DE CONFORMITÉ INSUFFISANT

Heures du réveil, du coucher, temps d'absence, nombre de personnes présentes… Pour la Cnil, "les données de consommation fines peuvent révéler des informations sur la vie privée" des clients, dont ils doivent "garder la maîtrise". Conformément au RGPD, toute collecte doit se faire avec l'accord "libre, spécifique, éclairé et univoque" des personnes concernées.

Or, selon le gendarme des données personnelles français, si EDF et Engie "recueillent effectivement un consentement auprès de leurs utilisateurs", "leur niveau de conformité est insuffisant" : "(Le) consentement n'est ni spécifique, ni suffisamment éclairé s'agissant des données de consommation à l'heure ou à la demi-heure", estime l'organisme. Après une série de contrôles chez ces entreprises, la Cnil a ainsi constaté que pour deux opérations différentes, les sociétés ne proposent qu'une seule et unique case à cocher : l'affichage dans l'espace client des consommations quotidiennes, et celui des consommations à la demi-heure.

TEMPS DE CONSERVATION EXCESSIF DES DONNÉES

L'institution a également noté que cocher cette case entraîne l'envoi aux usagers de conseils personnalisés, visant à réduire la consommation d'énergie. Une triple opération non conforme aux exigences du RGPD. Concernant EDF, la mention de la case "j'accepte" serait, selon la Cnil, "particulièrement susceptible d'induire l'abonné en erreur sur la portée de son engagement". L'entreprise présente les données quotidiennes et à la demi-heure comme "étant équivalentes", bien que différentes – les 30 minutes permettant d'obtenir plus de précisions sur le comportement de l'utilisateur. Tout comme Engie, dont "aucune information suffisamment précise n'était donnée, avant de recueillir le consentement" dans la collecte de "l'index quotidien"– consommation journalière – et la "courbe de charge"– à l'heure ou à la demi-heure.

Deuxième reproche majeur aux sociétés : le temps de conservation excessif des données. "Si (Engie et EDF) ont globalement défini des durées de conservation, les vérifications de la Cnil ont notamment révélé que ces (temps) sont parfois trop (longs) au regard des finalités pour lesquelles les données sont traitées", peut-on lire sur le site.

EDF conserverait, en base active, les informations quotidiennes et à la demi-heure pendant cinq ans après la résiliation du contrat. Aucune procédure d'archivage n'est prévue, alors que les fournisseurs d'électricité doivent mettre à disposition les historiques de consommation uniquement pendant 3 ans après la date de recueil du consentement. Concernant Engie, le gendarme français des données personnelles a révélé que la société conserverait, aussi en base active, les données de consommation mensuelle pendant trois ans après la résiliation du contrat, et pendant 8 ans en archivage intermédiaire.


Anti-capitalistes, anti-racistes, anti-sexistes : portrait des activistes de Youth for Climate, qui ont dégradé les locaux de BlackRock

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"Une cinquième grève mondiale est en train de s'organiser pour le 13 et 14 mars prochain", informe Thibault.​
Une vingtaine de militants écologistes se sont introduits ce lundi 10 février dans les locaux parisiens de BlackRock, géant américain de la finance. Le mouvement Youth For Climate est en tête de l'action. Mais qui sont ces défenseurs de l'environnement ?

Pas de chef. Tous égaux. Youth For Climate prend de l'ampleur et tente à nouveau de se faire entendre. Ce lundi 10 février, une vingtaine d'activistes se sont introduit, en fin de matinée, au siège de BlackRock, le géant américain de la finance. L'action surprise – "Avenir en feu", revendiquée par le mouvement – aura duré près de deux heures. Après s'être barricadés avec du mobilier, avoir saccagé et tagué les locaux de slogans écologistes et anti-capitalistes, les manifestants sont ressortis d'eux-mêmes. Ce n'est pas la première fois qu'une action de ce genre est menée par le groupe. Déjà ce week-end, des militants avaient collé des affiches sur les vitrines d'un Crédit agricole et de la Société générale de Saint-Nazaire. Mais qui sont ces jeunes activistes ?

Le modèle Thunberg

Ils s'appellent Thomas, Charlotte, Alexandre, Marie, Emma… Ils viennent des quatre coins du monde et de la France. Youth For Climate mobilise des jeunes entre 14 et 25 ans. Des lycéens, des collégiens, des étudiants… Tous différents, mais avec les mêmes préoccupations : l'écologie, le climat, l'environnement.

A l'origine, le mouvement voit le jour en Belgique en janvier 2019, à l'initiative d'Anuna De Wever et Kyra Gantois. Comme la jeune suédoise Greta Thunberg, elles invitent les Belges à faire la grève de l'école chaque jeudi. Quelques mois plus tard, la même chose se produit dans d'autres pays, s'étend. Et le mouvement se rallie à d'autres organisations pour effectuer des actions – telles qu'Extinction Rebellion ou encore le collectif Avenir des Terres pour la France.

Dans l'Hexagone, le mouvement prend de l'ampleur en avril 2019, et organise sa première mobilisation mondiale pour le climat le 15 mars. L'action avait réuni plus de deux millions de personnes du monde entier. Aujourd'hui, Youth For Climate comptabilise près de 130 groupes locaux, quelque 20.000 actifs, et ne compte pas s'arrêter en si bon chemin.

A-PARTISAN, MAIS POLITIQUE MALGRÉ TOUT

S'il ne connaît pas de chef, le mouvement doit pourtant s'organiser et s'accorder. Des représentants de nombreux pays se mobilisent donc en Suisse, du 5 au 10 août 2019. Pendant cinq jours, ils se mettent d'accord sur une trame à suivre. Les idées, les besoins, les demandes s'échangent et se regroupent dans la "Charte de Lausanne" : maintenir la hausse de la température inférieure à +1,5 degrés par rapport au niveau préindustriel de 1850-1900, assurer l'équité et la justice climatique, et tenir compte des meilleures données scientifiques.

Mais les revendications ne s'arrêtent pas qu'à l'écologie. Youth For Climate lutte également contre le racisme, le sexisme, le validisme - le traitement défavorable des personnes en situation de handicap -, la xénophobie, la discrimination, le fascisme, les discours haineux… En bref, pour le mouvement, "tout ce qui est lié au système actuel", que les activistes entendent "détruire ou modifier", résume auprès de Marianne Thibault, activiste de 16 ans de l'antenne parisienne de Youth For Climate. "Car on ne peut pas vivre dans un monde en faisant abstraction de ces problèmes aussi", justifie le lycéen. Au fil du temps, l'anticapitalisme, l'anti-productivisme et l'anti-consumérisme se joignent petit à petit à leurs autres combats.

Les militants "assument totalement les dégradations. C'est la violence physique qui est condamnée", précise Thibault.

Sur son site, Youth For Climate se considère pourtant "a-partisan". Une nouvelle manière de se faire entendre des politiques ? "Aujourd'hui, on ne se sent plus écouté. Rien n'a été fait après la COP 25 de 2019, et l'Assemblée nationale a retardé pour l'interdiction du plastique à usage unique", se désole pourtant l'activiste. Des rencontres avec des parlementaires européens sont prévues prochainement, en lien avec le Green New Deal for Europe – vaste plan visant la décarbonisation des énergies, la lutte contre le réchauffement climatique et la défense de la justicesociale. "Dans notre discours, on se permet d'être plus politique", détaille Thibault, que dans leurs actions, qui touchent cependant toutes la même thématique : l'environnement.

Mais surtout, l'organisation ne se limite pas qu'à la discussion avec les représentants politiques, comme l'a démontré l'opération ce lundi matin dans les locaux de BlackRock. Bien que se revendiquant non-violents, les militants "assument totalement les dégradations" : "C'est la violence physique qui est condamnée", précise-t-il.

Comme des grands

Comme Youth For Climate n'est pas une association - pour ne pas avoir à élire de chef - le mouvement n'a pas le droit à son compte en banque. Récolter des fonds devient alors toute une organisation. Chaque membre donne ce qu'il veut, achète ce qu'il souhaite, et partage avec qui bon lui semble. "Par exemple, je sais que je suis celui qui contribue le plus pour l'antenne parisienne", détaille Thibault.

Dans la répartition des tâches, là encore les activistes sont organisés. "Globalement, on travaille sur plusieurs échelles. On met en place des groupes de travail dans les villes, les régions, et aussi au niveau national", énumère le lycéen. "Pour l'échelle nationale, le groupe de travail tourne tous les mois. En général, on sait qui s'occupe de quoi". Plus spécifiquement, certains sont chargés des relations presse, de la communication sur les réseaux sociaux, des finances…

Rencontres régulières

De temps en temps, en fonction des besoins, Youth For Climate doit tout de même de réunir et s'accorder. Soit via les réseaux sociaux, soit en "séance plénière ou en assises" quand ils sont trop nombreux. "A Paris, on organise une rencontre une fois toutes les deux semaines". Un travail que Thibault effectue sur son temps d'études, depuis qu'il s'est engagé il y a 9 mois. Concernant les actions à mener, les activistes sont en permanence connectés à la plateforme de VoIP, Discord.

Les actions menées par le mouvement témoignent de leur organisation. Au printemps 2019, des assises nationale françaises s'étaient tenues à Nancy. En novembre, la même chose s'est effectuée à Grenoble. Mais là, il fallait
mettre de l'ordre. Les revendications devenaient trop nombreuses, et les antennes locales trop indépendantes. Les militants se sont entendus sur leurs valeurs, leurs principes et leurs actions, mais attendent que tous groupes locaux signent pour diffuser et acter leur longueur d'onde et objectifs communs. Mais encore aujourd'hui, pas de nouvelle. L'assise européenne prévue pour cet été, permettra peut-être de faire un bilan. Mais d'ici là, "une cinquième grève mondiale est en train de s'organiser pour le 13 et 14 mars prochain", déclare Thibault.

Après les hauts-fourneaux, ArcelorMittal pourrait fermer la cokerie de Florange

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La fermeture de cokerie de Florange à l'horizon 2022 est un nouveau coup dur pour la Vallée de la Fensch, si le groupe ne tient pas ses promesses de "proposer un nouveau projet professionnel en interne à chaque salarié."
Le groupe ArcelorMittal a annoncé ce lundi 10 février qu'il pourrait fermer la cokerie de Serémange-Erzange, du site de Florange, d'ici deux à trois ans.

C'est un nom qui rappelle de vieux et douloureux souvenirs à l'industrie française : ArcelorMittal. Le géant mondial de la sidérurgie a annoncé ce lundi 10 février 2020, lors d'un Comité social et économique, la potentielle fermeture dès 2022-2023 de la cokerie de Serémange-Erzange, sur le site de Florange, en Moselle. Une cokerie est une usine où l'on traite le coke et le gaz manufacturé à partir de charbon pour produire de la fonte. Et la nature de cette production n'est pas anodine : il s'agit d'un type d'industrie polluant tant on y extrait des matières telles que le goudron ou le benzol.

170 CDI en jeu

Ainsi, des rumeurs circulaient depuis des mois au sein du site quant à sa potentielle fermeture, alors qu'environ 230 à 250 personnes y sont salariées, dont 170 CDI selon France Bleu Moselle. Initialement prévue jusqu’en 2032, l’utilisation de cette installation se voit donc menacée. "Compte tenu du plan d'investissements envisagés afin de réduire nos émissions de CO2 de plus de 30% d'ici à 2030, le besoin en coke devrait diminuer et le site de Dunkerque pourrait être auto-suffisant à court terme (2022-2023)", annonce le groupe, qui s’est engagé à réduire ses émissions de CO2 de 30 % d’ici à 2030, pour "contribuer au pacte vert"en cours d’élaboration à Bruxelles. "Au vu des perspectives démographiques de notre société, nous savons d'ores et déjà que nous aurions les moyens de proposer un nouveau projet professionnel en interne à chaque salarié de la cokerie", a rassuré ArcelorMittal, qui a, il est vrai, pâti de l’effet simultané de la baisse des prix de l’acier et de la hausse du coût des matières premières, et une perte de 2,5 milliards de dollars en 2019.

Les syndicats, de leur côté, restent attentifs aux futures annonces du groupe, mais ne critiquent pas frontalement la direction : "D'un côté, on est soulagé, parce qu'il n'y a pas d'annonce tout de suite, mais ce n'est pas impossible que la cokerie ferme en 2022 et il y aura de sérieuses réorganisations dans l'entreprise" a réagi auprès de l'AFP Frédéric Weber, délégué FO ArcelorMittal à Florange.

Difficultés et hauts fourneaux

En décembre 2018, le groupe annonçait déjà la fermeture définitive de ses hauts-fourneaux, également sur le site de Florange, six ans après l'accord de "mise sous cocon" du site par François Hollande, et l'arrivée à échéance de ce dernier. La fermeture de la cokerie de Florange s'inscrit donc dans la continuité d'un feuilleton entamé depuis plusieurs années et dont François Hollande avait assumé la responsabilité, lorsque, le 24 février 2012, perché sur le toit d'une camionnette devant les ouvriers de Florange, il promettait une loi pour empêcher le démantèlement des sites industriels : "Quand une grande firme ne veut plus d'une unité de production et ne veut pas non plus la céder, nous en ferions obligation pour que les repreneurs viennent et puissent donner une activité supplémentaire". Après un bras de fer avec le groupe, le gouvernement, en la personne de Jean-Marc Ayrault, annoncera en novembre 2012 qu'il n'y aura pas de nationalisation, mais une "mise sous cocon pendant six ans", avec l'obligation pour ArcelorMittal d'investir sur le site et de ne pas licencier.


Cette mise en sommeil provisoire des hauts-fourneaux consistait en une manière détournée de les arrêter, avant d'en annoncer définitivement l'arrêt en novembre 2018. La fermeture de la cokerie de Florange à l'horizon 2022 est un nouveau coup dur pour la Vallée de la Fensch, en Moselle, si le groupe ne tient pas ses promesses de "proposer un nouveau projet professionnel en interne à chaque salarié de la cokerie".

​"Les gens préfèrent les candidats comme Ménard ou moi" : Perpignan, ville promise à Louis Aliot ?

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Au premier tour, selon les sondages, Louis Aliot pourrait obtenir 30% des suffrages.
Largement en tête dans les sondages, Louis Aliot est le grand favori pour conquérir la mairie de Perpignan, dans les mains de la droite depuis des décennies. Pour lui barrer la route, le maire LR sortant compte sur la formation d'un front républicain. Une option qui ne lui garantirait pas la victoire.

Perpignan sera-t-elle la première grosse prise du Rassemblement national (RN) ? Même si Louis Aliot se présente officiellement "sans étiquette", pour ne pas effrayer les frileux d'autres bords de le rejoindre, la capitale du département des Pyrénées-Orientales et ses 120.000 habitants pourraient bien finir dans l'escarcelle de l'extrême droite au soir du 22 mars prochain. Le dernier sondage en date, établi par l'institut Ipsos-Sopra Steria pour Franceinfo et L'Indépendant, laisse peu de place au doute. Au premier tour, l'ex-vice président du feu Front national se détache du peloton, en tête avec 30% des suffrages. Deuxième, le maire LR sortant, Jean-Marc Pujol, atteint 19%, devançant la candidate écologiste Agnès Langevine (EELV/PS) et ses 15% et Romain Grau (LREM) à 13%. Si cette enquête ne teste pas le second tour, un précédent sondage, celui-ci de l'Ifop, s'était penché sur l'hypothèse d'une quadrangulaire réunissant ces mêmes candidats. Verdict : Aliot serait sacré maire de la ville, avec 29% des voix, suivi par Langevine (27%) et Pujol à seulement 26% malgré le retrait et le soutien hypothétique du candidat LREM. De bon augure pour l'ex-compagnon de Marine Le Pen ?

Dans l'opinion, le bilan du maire sortant jugé "médiocre"

"Dans une ville où tous les coups tordus sont possibles, je reste prudent, observe le candidat soutenu par le RN auprès de Marianne. C'est une campagne étrange. Elle a commencé très tardivement et, maintenant qu'elle est lancée, elle se déroule sur un faux rythme. L'issue est très difficile à prévoir". Installé dans son bureau de la rue Mailly où il a installé sa permanence, en plein quartier commerçant, Louis Aliot trépigne. Il l'assure, l'envie de débattre et de croiser le fer l'habite. Un peu plus d'un mois avant le premier tour, le candidat frontiste a des fourmis dans les jambes : "J'ai l'impression de n'avoir en face de moi que des personnes qui refusent le débat". La gauche ? Il la juge en décalage. La droite ? Dans le déni d'un bilan "catastrophique". Et le candidat LREM ? Tout simplement "absent". "La preuve, la semaine dernière, Romain Grau n'a pas souhaité participer au débat organisé par des blogueurs locaux, explique-t-il. Je crois que le fait d'être un énarque, et de se targuer en permanence d'avoir l'oreille du président, lui donne l'impression d'être au-dessus de la mêlée". Contacté, le député LREM n'a pas donné suite à nos sollicitations.

Dans une ville qui affiche un taux de chômage très élevé (25,4%) et un taux de pauvreté inquiétant (32%), c'est d'abord le bilan du maire sortant qui pourrait être le premier atout du candidat frontiste. Lui qui était déjà son rival en 2014. Toujours selon l'étude de l'Ipsos, les Perpignanais sont d'ailleurs très critique à l'égard de l'action de Jean-Marc Pujol : 49% jugent son travail "médiocre ou mauvais". Un taux bien plus élevé que celui habituellement mesuré dans les villes de plus de 50.000 habitants, situé autour de 60% d'opinion positive en moyenne. "En 30 ans, nous avons été dirigés par des gens bardés de diplômes qui se vantaient d'avoir telle ou telle connaissance à Paris mais qui n'ont rien apportés au territoire", poursuit le candidat du RN.

Et de donner plusieurs exemples, de l'absence de ligne TGV entre Perpignan et Montpellier (Hérault) "empêchée à cause de guéguerres entre gauche et droite à la mairie, à l'agglo, au conseil départemental et à la région" jusqu'au marché de gros de fruits et légumes, inquiété par des "incohérences logistiques", sans oublier le secteur des travaux publics menacé par la "concurrence européenne". "Les gens en ont marre de ceux qui se gavent et qui se vantent en permanence mais qui ne font rien, tempête-t-il. Ils préfèrent des candidats comme Ménard ou moi qui font du bruit pour défendre les dossiers et les intérêts des habitants".

L'option du front républicain

Une assurance qui fait bondir Jean-Marc Pujol, l'actuel maire. À 70 ans, l'élu Les Républicains (LR) espère obtenir un troisième mandat. Il est d'ailleurs certains de ses chances d'y arriver, malgré les candidatures de deux de ses anciens adjoints (Romain Grau et Olivier Amiel, candidat sans étiquette) :"J'ai un vrai bilan que l'on peut contrôler", assure-t-il à Marianne, préférant la défense à l'attaque. Son premier atout, selon lui : le thème de la sécurité, désigné comme la priorité absolu des électeurs de la ville selon le sondage de l'Ipsos."C'est une question que j'ai anticipée, se satisfait-il. Avec les recrutements que j'ai lancé dans la police municipale depuis 2010, nous avons désormais la première police municipale de France. Et nous sommes dans les cinq première ville de France en terme de couverture du territoire en vidéo protection. Les faits sont là même si monsieur Aliot, comme d'autres, préfère surfer sur les inquiétudes".

Reste que Louis Aliot fait la course en tête. En 2014, celui-ci était également arrivé en première position avec 34,18% des suffrages, talonné par Jean-Marc Pujol (30,67%) loin devant le candidat à l'époque socialiste (et désormais marcheur) Jacques Cresta (11,8%). Mais à l'époque, ce dernier s'était retiré pour favoriser l'élection du candidat LR et empêcher le frontiste de s'installer place de la Loge. Un front républicain du même type se formera-t-il cette fois-ci ? "L'important, c'est ce combat final, note Pujol. Il faudra que chacun prenne ses responsabilités sans vouloir recourir à des tripatouillages de listes".

Un appel entendu par Agnès Langevine, la candidate verte soutenue par ce qu'il reste du Parti socialiste local et la branche pro-François Ruffin de La France insoumise (LFI), brouillée avec les transfuges du parti de gauche qui, eux, soutiennent la liste dite citoyenne "L'Alternative" (Générations, PC, NPA) créditée pour sa part de 10% des voix dans les sondages. "Si je ne suis pas deuxième au soir du premier tour, je prendrai mes responsabilités, je n'ai aucun problème avec cela, confie-t-elle à Marianne. Pour autant, je ne suis pas certaine que les électeurs de gauche me suivent". Au gré des rencontres et des tractages, celle qui est également vice-présidente de la région Occitanie témoigne d'un "dégoût"des électeurs de gauche quant à l'attitude du maire de la ville au lendemain de sa réélection, il y a six ans. "Il ne s'est jamais adressé à nous, n'a jamais remercié les électeurs de gauche qui l'ont soutenu au second tour, n'a pas organisé de commission ou de dialogue permanent avec les organisations de gauche et n'a pas non plus renforcé la démocratie participative, regrette-t-elle. Ca m'inquiète beaucoup. Mais s'ils ne se déplacent pas pour faire barrage à Louis Aliot, il ne faudra pas jouer l'étonnement". Le RN s'en frotte déjà les mains.

Avec la réforme des retraites, le malaise social prend racine dans la bande-dessinée

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"Je sais que j’aurai une retraite misérable", soupire ainsi la dessinatrice Christelle Pécout, vice-présidente du Syndicat français des auteurs de BD.
L'année de la bande-dessinée est aussi celle de la révélation au grand jour des graves difficultés que rencontre l’écrasante majorité des auteurs. Commandé par le ministère de la Culture, un rapport dresse un constat accablant. En première ligne, le sujet des retraites est au cœur d’un énorme scandale.

Rares sont les documents officiels qui ne s’encombrent pas de langue de bois. Dévoilé le 22 janvier dernier à la veille du Festival d’Angoulême, le très attendu rapport préparé par Bruno Racine, ex-président de la Bibliothèque nationale de France, romancier et essayiste, fait partie de ceux-là. Le diagnostic posé dès l'introduction du document est on ne peut plus clair : "La mission relève un phénomène déjà ancien de fragilisation des conditions de vie […] tandis que les artistes-auteurs demeurent insuffisamment organisés pour faire entendre leur voix et que les pouvoirs publics ne les prennent qu’imparfaitement en considération dans leurs politiques." En plus de l'explosion des cotisations, inversement proportionnelles aux prestations sociales, cette profession précarisée souffre d’un grave dysfonctionnement de son système de retraite, qui risque de pâtir de la réforme en cours.

"Une retraite misérable"

La liste des maux dont souffre la profession, détaillée dans les 140 pages du rapport, a de quoi refroidir les vocations : "Dégradation de la situation économique et sociale", "érosion des revenus", "déséquilibre des relations avec les éditeurs, producteurs, diffuseurs", "insuffisante prise en compte des conséquences de certaines réformes sociales", "difficultés administratives" ou "aides modestes", auxquelles s’ajoutent l’absence d’un véritable statut des auteurs et leur non-représentation dans les organismes de gestion. Pour les 50 % des auteurs de BD qui peinent à atteindre le Smic, et plus encore pour le tiers de ceux vivant sous le seuil de pauvreté, la perspective de la retraite s’annonce en effet bien sombre, comme l'explique le rapport Racine : "À défaut de dispositif dérogatoire, les auteurs pourraient voir leurs droits à la retraite s’amenuiser ou leurs cotisations augmenter" , prévient le conseiller d’État.

"Je sais que j’aurai une retraite misérable."

Les intéressés en sont bien conscients : "Je sais que j’aurai une retraite misérable", soupire ainsi la dessinatrice Christelle Pécout, vice-présidente du Syndicat français des auteurs de BD. Pour Philippe Fenech, dont les onze tomes de la série Mes Cop’s totalisent 300.000 exemplaires vendus, c’est à peine mieux : "Grâce au simulateur mis en ligne par le gouvernement, j’ai calculé qu’en travaillant jusqu’à 62 ans, je toucherai environ 1.000 euros, et 1.600 si je continue jusqu’à 67 ans."Encore faut-il préciser qu’avec ses deux albums produits chaque année, Fenech s’apparente à un véritable stakhanoviste du métier, dont il ressent déjà l’usure du haut de ses 44 ans : "Avant, quand la date de bouclage d’un album approchait, je pouvais bosser plusieurs semaines plus de vingt heures par jour et faire des nuits de trois heures. Maintenant, je ne tiens plus." Olivier Sulpice, fondateur des éditions Bamboo – connues pour proposer des contrats plus avantageux que leurs concurrents –, est bien conscient du problème : "La plupart des auteurs meurent le crayon à la main si l’arthrose ne les fait pas trop souffrir", confie-t-il à Marianne.

Avant d’en arriver là, beaucoup triment dans l’indifférence générale, leur travail étant souvent assimilé à un "métier-passion". Mais la passion à ses limites, et la colère gronde au point de pousser certains dessinateurs à abandonner la profession : désormais soumis à une hausse de la CSG de 7,5 % à 9,2 %, ils subissent de surcroit une augmentation des cotisations à leur caisse de retraite complémentaire (et néanmoins obligatoire), passée de 1 % à 8 %. Tous doivent alors s’acquitter d’un minimum de 245 euros trimestriels, quel que soit leur niveau de revenu. Or, cette somme représente presque un mois de travail pour la majorité des auteurs.

"Une situation de grande précarité"

Depuis le 1er janvier 2019, scénaristes et dessinateurs versent également une cotisation d’assurance vieillesse de 6,90 % calculée dès le premier euro. "Bien qu’ouvrant enfin les droits à la retraite de tous, [cette part] entraîne des charges supplémentaires qui n’avaient pu être anticipées", ajoute le rapport Racine. Mais il y a plus grave : l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (AGESSA), l’organisme en charge du recouvrement des cotisations, a connu d’énormes dysfonctionnements, pointés pour la première fois par ce même rapport : "190.000 personnes n’ont jamais été prélevées de cotisation à l’assurance vieillesse depuis la création du régime en 1975, alors que le contraire leur était indiqué.[…] Les conséquences sociales en sont dramatiques, puisque les artistes-auteurs concernés, qui de bonne foi pouvaient légitimement aspirer à percevoir une pension de retraite à proposition des cotisations qu’ils pensaient avoir versées, se trouvent privés des droits correspondants."

Conséquence : certains percevront 250 euros de retraite, victimes d’"une situation de grande précarité" parfaitement résumée par la mission Racine. "Ces pensions dérisoires poussent pas mal d’auteurs à continuer après l’âge légal du départ à la retraite", témoigne Olivier Sulpice. Très actif sur ce dossier, le Comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs (CAAP) évoque sans détour un "scandale" qu’un rapport conjoint de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des affaires culturelles avait mis à jour dès 2005.Très remonté, le CAAP rappelle en outre que l’AGESSA ne compte aucun syndicat d’auteurs en son sein, à l’inverse des éditeurs, bien représentés.

Précisons que ces 190.000 victimes d’un système carencé regroupent les auteurs "assujettis"à l’AGESSA, distincts des "affiliés". Pour bénéficier de ce statut, un auteur doit gagner un minimum de 9.000 euros par an, à moins de faire une demande dérogatoire que d’aucuns qualifient de "laborieuse et incertaine". Les "assujettis", eux, paient une part de cotisation retenue à la source, qui ne donne droit à rien. L’AGESSA aurait donc dû aviser ces cotisants des démarches à accomplir pour leur permettre de compléter leurs versements, et ainsi d’en retirer une pension de retraite plus conséquente. Selon le CAAP, cette instance se serait "exonérée de sa mission légale de recensement et d’identification des artistes-auteurs", le tout "en violation du code de la Sécurité sociale". Pour se défendre, l’AGESSA invoque "les limites du système informatique" que ne connait pas l’URSSAF, désormais responsable des recouvrements. Reste que cette transition rencontre d’autres problèmes. La Ligue des auteurs professionnels, qui a largement contribué au rapport Racine, craint ainsi la répétition de "catastrophes sociales et économiques".

Les éditeurs épargnés par la hausse des cotisations

Ces cinq dernières années, dessinateurs et scénaristes ont donc vu bondir leurs cotisations de 10 à 25 %. "Et encore, ça aurait pu être 35 % si on ne s’était pas battus", rappelle Christophe Arleston. Les éditeurs, eux, ont été épargnés : depuis 1979, la part de leurs cotisations est passée de 1 %... à 1,1 %, tandis que chiffres d’affaires et bénéfices n’ont cessé de croître. "J’ai proposé qu’on commence par doubler notre contribution", explique Olivier Sulpice, qui s’est senti bien seul. "Il faudrait que le gouvernement intervienne pour rétablir l’équilibre", estime Christelle Pécout, à l’unisson de la profession.

"Je ne veux pas que l’État vienne se mêler de notre relation", déclarait récemment Vincent Montagne, président du Syndicat national de l’édition (SNE), qui n’a pas répondu aux sollicitations de Marianne. "Si les auteurs veulent gagner plus, ils n’ont qu’à travailler plus", renchérissait Moïse Kissous, responsable de la branche BD d’un syndicat que beaucoup voient comme le "MEDEF de l’édition". Dès lors, tous les regards sont pointés vers le ministère des Affaires sociales, le Premier ministre et le chef de l’État : "Est-ce que le président de la République saura nous entendre ?", s’interroge Christelle Pécout, plus que dubitative. Scénariste et vice-présidente de la Ligue des auteurs professionnels, Samantha Bailly clame plutôt son optimisme sur les réseaux sociaux : "Nous savons que les solutions existent et qu’elle sont à portée de main."

Emmanuel Macron était justement en visite à Angoulême, où le dessinateur et scénariste Jul l’a invité à tenir, pour les besoins d’une photo, un tee-shirt détournant la mascotte du festival, éborgnée et flanquée de la mention "LBD 2020", en référence aux armes policières "non-létales" tant décriées. La grand-messe du Neuvième Art aura surtout été l’occasion pour les auteurs de multiplier les manifestations : des stars de la BD, mais aussi des anonymes et des petits éditeurs ont tenu une Assemblée générale, créé un nouveau collectif et débrayé afin de manifester dans la rue, où ils ont été rejoints par des professeurs et des avocats. Premier président à se rendre au Festival d’Angoulême depuis François Mitterrand en 1985, Emmanuel Macron a promis "des initiatives fortes" destinées à "protéger davantage les auteurs" et à "leur donner plus de quiétude". Seule certitude : les forçats de la planche à dessin et leurs compères scénaristes ne battront pas en retraite.

Derrière la baisse du chômage, une masse d’emplois de serviteurs précarisés

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Liêm Hoang-Ngoc revient sur la dernière étude de l'OFCE. Vivement critiquée par Bruno Le Maire, elle révèle pourtant que la politique du gouvernement est néfaste pour le pouvoir d'achat des plus modestes, malgré la baisse du chômage soulignée par le gouvernement.

La publication de l’étude annuelle de l’OFCE sur les effets de la politique du gouvernement a suscité l’agacement du ministre de l’Economie et des finances. Contestant "l’esprit et la méthode" de ce travail, Bruno Le Maire affirme que la décrue du chômage en 2019 atteste du bien-fondé de la politique menée. Celle-ci est pourtant loin d’atteindre tous les objectifs annoncés.

L’étude de l’OFCE

Fort rigoureuse sur le plan méthodologique, la simulation de l’OFCE montre que "l’effet cumulé des mesures socio-fiscales de 2018 à 2020 reste très fortement marqué par le geste fiscal effectué en direction des ménages les plus aisés en début d’année 2018" (suppression de l’ISF sur la détention d’actions et d’obligations, "Flat tax" sur les revenus qu’ils procurent). Elle indique que "l’effet cumulé des mesures prises devrait être négatif pour les 10% des ménages les plus pauvres" (suppression des APL, baisse ou suppression des allocations pour de nombreux chômeurs, désindexation de prestations sociales vis-à-vis de l’inflation). Contrairement aux allégations faites par Bruno Le Maire, l’étude intègre bel et bien les effets la prime d’activité et du "zéro reste à charge". Elle souligne que les classes moyennes, destinataires de la suppression de la taxe d’habitation, sont les principales bénéficiaires des "mesures gilets jaunes" (baisse de l’impôt sur le revenu, prime d’activité, défiscalisation des heures supplémentaires), ayant pour effet de soutenir la demande. Enfin, les collectivités territoriales voient leur budget affecté par la baisse des dotations de l’Etat, dont le déficit est lui-même tributaire en 2019 du "double CICE" versé aux entreprises (crédit d’impôt versé au titre de l’année 2018 et transformation en baisse pérenne de cotisations patronales).

C’est surtout "l’esprit"de l’étude, suspectée de propager l’idée que la baisse des inégalités passe par la redistribution, que critique le ministre. Pourfendeur des politiques de redistribution, qu’il accuse d’accroître la pression fiscale, le chômage et la pauvreté, Bruno Le Maire soutient que la politique menée par le gouvernement est susceptible de s’attaquer aux inégalités en encourageant le travail. Elle commencerait à provoquer ses effets, comme en témoigne la décrue du chômage.

La baisse du chômage est l’arbre qui cache la forêt

Mais cette baisse du chômage est l’arbre qui cache la forêt. Le chômage a bien baissé de 3% en 2019, alors même que la progression du PIB décroît depuis 2017, où elle avait atteint 2,2%. La croissance fut ensuite de 1,7% en 2018 et de 1,2% en 2019. En baisse de -0,1% au dernier trimestre 2019, elle serait de 1,1% en 2020. En outre, les gains de productivité ont été nuls au cours des deux premiers trimestres 2019. Tout ceci signifie que la croissance est en passe de se retourner, mais qu’elle s’avère plus riche en emplois qu’auparavant (la croissance étant quatre fois plus riche en emplois qu’au cours des Trente glorieuses où les gains de productivités étaient de 4% par an). Les créations d’emplois sont localisées dans les secteurs à faible valeur ajoutée, tels que la restauration, le commerce, les services aux personnes et le bâtiment. Ces secteurs traditionnels ont aussi bénéficié de l’abaissement du coût du travail et des réformes du code du travail. Ils sont gourmands en emplois peu qualifiés, rémunérés au niveau du SMIC. Ils sont fortement tributaires de la conjoncture, dont la tenue provisoire explique la baisse des demandeurs d’emplois de catégories B et C (occupant des emplois à courte durée). Mais attention ! Autant les entreprises ont peu à peu transformé les CDD en CDI depuis la reprise de 2017, autant un retournement pourrait entraîner une forte recrudescence du chômage, dès lors que l’assouplissement du code du travail permet aux entreprises de réduire aisément les salaires et l’emploi face à une baisse d’activité.

Malheureusement, les faits montrent que les chômeurs les mieux formés ont peu de perspectives

Nonobstant ces résultats, la politique de l’offre est loin d’avoir atteint ses objectifs, à savoir une croissance forte, tirée par l’investissement dans les secteurs innovants, des gains de parts de marché à l’exportation, le tout combiné à une « flexisécurité » censée drainer les chômeurs, placés en formation, vers lesdits secteurs à forte valeur ajoutée. Si l’on suit le raisonnement des tenants de la pensée unique, la baisse du coût du travail doit stimuler l’investissement et l’emploi, tandis que le durcissement des conditions d’accès à l’indemnisation du chômage doit inciter les chômeurs à travailler ou à se former pour s’adapter aux compétences requises dans les secteurs en pointe où l’investissement, stimulé par le CICE et la baisse enclenchée de l’impôt sur les sociétés, s’orienterait tôt ou tard. Malheureusement, les faits montrent que les chômeurs les mieux formés ont peu de perspectives, hors des emplois instables de secteurs traditionnels.

Cohésion sociale menacée, tissu productif déchiré

La reprise de l’investissement de 2017 fut tirée par la demande mondiale, des taux d’intérêt bas, la baisse de l’euro (favorable aux exportations) et des prix du pétrole (ayant eu un effet bénéfique sur la demande domestique). Mais l’investissement dans les secteurs à forte valeur ajoutée et les dépenses en recherche et développement restent modérés. La montée en gamme de l’industrie française ne se produit pas. Le luxe, l’aéronautique, les vins et spiritueux et le tourisme restent les seuls atouts commerciaux de la France. Alors que le taux de marge des entreprises (la part des profits dans la valeur ajoutée) a atteint un pic historique de 33% en 2019, la part des profits distribués sous forme de dividendes s’est encore accrue. Ces derniers, sous-fiscalisés grâce à la "Flat tax" sur les revenus du capital, ont augmenté de 12,3%, bien plus que l’investissement.
Ils alimenteront des rachats d’actions faisant monter la valeur du patrimoine mobilier, désormais défiscalisé, des plus aisés.

La politique menée engendre une masse d’emplois de serviteurs précarisés et mal payés

Ces traits sont désormais caractéristiques d’un capitalisme français financiarisé, ayant fait le deuil de ses ex-champions nationaux, au gré des cessions d’actifs, des restructurations et de fusions acquisitions financées à coups de dette privée. Ce nouveau capitalisme est devenu la vache à lait des holdings financières des grandes fortunes et des fonds de pensions. Mais il prend peu de risques en matière d’investissement. L’industrie ne représente plus que 12% du PIB (contre 24% en Allemagne). La politique menée engendre une masse d’emplois de serviteurs précarisés et mal payés, elle favorise la rente financière au détriment du travail et de la création de richesses dans l’économie réelle. Elle ne peut, dans ces conditions, réduire les inégalités. Telle est l’autre clé de lecture du tableau de bord de l’économie française. Celui-ci indique le cap vers un horizon assombri pour notre cohésion sociale et de notre tissu productif.

Quand les "Décodeurs" tordent les faits pour se payer Alain Finkielkraut

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Le philosophe André Perrin déconstruit la rhétorique des "Décodeurs" du "Monde", qui accusent Alain Finkielkraut de mensonge, pour avoir déclaré que Patrick Balkany était le premier fraudeur fiscal à aller en prison.

Disons-le tout net : je n’ai aucune indulgence pour la fraude fiscale, qui consiste à voler l’État, donc l’ensemble des citoyens, à commencer par ceux qui, aussi modestes que soient leurs revenus, font preuve de sens civique et ont à cœur d’apporter leur contribution à la solidarité nationale. Je n’ai par ailleurs aucune sympathie pour Patrick Balkany, ce qui ne requiert aucune explication. En revanche, attaché à la vérité de l’information, je lis avec intérêt les rubriques qui, dans certains journaux, se donnent pour tâche de la vérifier et de traquer les "fake news". Mon attention a donc été attirée par ce titre des "Décodeurs" du journal Le Monde du 7 février : "Patrick Balkany n’est pas le seul fraudeur fiscal en prison (même si c’est rare)". Qui donc avait prétendu mensongèrement le contraire ? Nous ne tardons pas à l’apprendre : il s’agit de "l’académicien Alain Finkielkraut" dont on prend la peine de préciser aussitôt qu’il est "habitué des propos polémiques". Celui-ci a en effet déclaré le 3 février sur la chaîne LCI : "Jamais personne n’est allé en prison pour fraude fiscale. (…) C’est une forme d’acharnement complètement délirant."

Les Décodeurs "fact-checkés"

Alain Finkielkraut se serait donc rendu coupable d’une "trumperie". On s’attend alors à ce que la suite de l’article le confonde. Or ce que nous apprenons, sous le chapeau "Pourquoi c’est plus compliqué", c’est, dans un premier temps, que, si plusieurs fraudeurs ont été condamnés à des peines de prison ferme, "une telle sanction donne rarement lieu, dans les faits, à une incarcération". Ainsi Jérôme Cahuzac et Dieudonné ont-ils tous les deux été condamnés à deux ans de prison ferme, mais le premier a bénéficié d’un aménagement de peine avec bracelet électronique et le second est toujours libre en attendant son rendez-vous avec le juge d’application des peines. Cependant, se dit le lecteur, si cette sanction donne lieu "rarement"à une incarcération, c’est que cela doit arriver parfois. A qui donc est-ce arrivé ? Selon un rapport d’information parlementaire, 111 peines de prison ferme ont été prononcées en 2016, mais, nous disent les Décodeurs, "ces peines d’emprisonnement ferme ne dépassant pas un an en moyenne, elles sont, pour la plupart, aménageables, a fortiori dans un contexte de surpopulation carcérale et de développement des alternatives à la prison". La plupart ou toutes ? L’article ne cite aucun cas où une peine n’ait pas été "aménagée".

La déclaration d’Alain Finkielkraut était parfaitement conforme à la vérité

En fin de compte, le seul exemple que les Décodeurs opposent à l’assertion d’Alain Finkielkraut est celui de l’ancien président du club de football d’Angers, Willy Bernard, mais avec cette précision : "Il avait fallu que ce dernier tente de se soustraire à la justice française en s’établissant au Maroc pour que la police de l’air et des frontières mette à exécution la peine de deux ans de prison ferme pour fraude fiscale prononcée en 2017. Après deux mois et demi à Fresnes, il avait obtenu un aménagement de peine". Autrement dit, il n’a été incarcéré que parce qu’il avait tenté de se soustraire à la justice.

Dans ces conditions, la déclaration d’Alain Finkielkraut était parfaitement conforme à la vérité : jamais personne n’est allé en prison pour fraude fiscale puisque, selon les dires du journal Le Monde lui-même, le seul fraudeur qui y est allé a été incarcéré non pas en tant que fraudeur, mais en tant que fuyard. Et c’est le titre du Monde, "Patrick Balkany n’est pas le seul fraudeur fiscal en prison", qui est contraire à la vérité : à la date du 7 février 2020, Patrick Balkany était bien le seul fraudeur fiscal en prison.

A ceux qui subodoraient qu’on peut se livrer à la désinformation sous couvert de "réinformation", Le Monde vient de donner raison

L’article des Décodeurs est construit pour réfuter quelqu’un qui aurait soutenu que personne n’avait été condamné à une peine de prison ferme pour fraude fiscale, mais au lieu de citer celui qui a soutenu cette thèse, il cite quelqu’un d’autre, visiblement un ennemi à abattre, qui ne l’a pas soutenue. Est-ce bien conforme à la déontologie journalistique ? Et ce n’est pas tout. Dans sa déclaration à LCI, Alain Finkielkraut avait évoqué le caractère exceptionnel du mandat de dépôt à l’audience délivré contre Balkany. Le Monde n’en souffle mot. En revanche, pour justifier le caractère exceptionnel de cette incarcération, il écrit : "le cas des époux Balkany est assez unique par les montants soustraits à l’administration fiscale (plus de 4 millions d’euros) dans un contexte où la lutte contre l’évasion fiscale s’est durcie en France". Ce faisant, il passe sous silence les montants soustraits à l’administration fiscale par Cahuzac et le réquisitoire du vice-procureur Jean-Marc Toublanc à son procès : "Les 3,5 millions d’euros ne sont qu’un solde. Le montant des avoirs dissimulés pendant 20 ans sont beaucoup plus importants." Enfin, nos Décodeurs ne se demandent pas davantage si, en matière d’exemplarité, le cas d’un ministre du budget chargé de la lutte contre la fraude fiscale n’est pas plus pendable que celui d’un simple maire et ancien député.

A ceux qui subodoraient qu’on peut se livrer à la désinformation sous couvert de "réinformation", Le Monde vient de donner raison.

"Tyrannie de la visibilité" : pourquoi notre société consacre-t-elle le besoin de tout voir et d'être vu ?

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"Le numérique construit un individu qui recherche l’élection de la visibilité, individuelle ou collective."
Philippe Guibert écrit dans le "Carnet des médiologues" sur le site de Marianne. Il vient de publier "Tyrannie de la visibilité", qui questionne ce qu'il considère être un "nouveau culte démocratique".

Dans Tyrannie de la visibilité : un nouveau culte démocratique (VA press), Philippe Guibert questionne notre rapport à l'image. Pour lui, le numérique a créé un désir d'être vu et un besoin de voir, qui pose problème.

Marianne : Vous relevez que nos sociétés sont avant tout aujourd’hui des sociétés de l’image et non plus de l’écrit. En quoi est-ce un bouleversement ?

Philippe Guibert: C’est l’image-son qui fait foi désormais, bien plus que l’écrit. C’est elle qui atteste de la réalité de ce qui s’est passé, de l’authenticité de ce que pense vraiment une personne. L’écrit est différé, il est pesé et soupesé. A nos yeux dressés au visuel, ce peut être du reconstitué, pas assez intense, sinon de l'artifice. L’image, elle, ne ment pas, si j’ose dire. Elle est révélatrice et le sera d’autant plus en direct-live, avec la plus grande spontanéité possible. Surtout quand elle montre du ressenti et du vécu, du témoignage et du brut. Il nous faut de l’image intense et du son qui clashe.

Le numérique, avec cette viralité de l’image-son, c’est une amplification de ce que Régis Debray a appelé la vidéosphère, celle où le visible dit le réel et la vérité du réel. Il date son origine au début des années 70, avec le développement de la télévision. Le numérique met désormais l’image et l’expression visibles à portée de tous, par l’automédiatisation digitale.

Bien sûr, l’écrit n’a pas disparu, mais il change de nature. D’abord, il est rongé de l’intérieur par le chiffre, les statistiques, autre attestation du réel, jugée plus sérieuse que les longs discours (victoire de l’économisme sur les Humanités). Ensuite par le rétrécissement du temps dans une économie très concurrentielle de l’attention : on lit des formats de moins en moins longs. Enfin par la prééminence de la visibilité d’un auteur : celui-ci devient le préalable de son œuvre, son "image" personnelle prime sur ses livres – voyez les mésaventures de Yann Moix. Le "moi social " visible, de l’auteur, est le filtre pour accepter son "moi profond", celui de l’écrivain ou du penseur. Proust, qui a théorisé cette opposition, lui qui était perçu comme un mondain superficiel, en serait désolé…Ce n’est plus l’écrit qui nourrit notre imaginaire collectif.

Un présidentiable sérieux désormais se rapproche d’un personnage de série

Selon vous, les séries sont devenues l’art dominant de notre époque. Quels sont les impacts sur nos vies et sur la vie politique ?

Elles sont en train de devenir l’art dominant. Le cinéma garde encore son prestige, comme la littérature il y a quelques décennies : les films qu’il faut avoir vus, dont on parle dans les dîners. Mais les séries, par leur format, leur facilité de téléchargement, et puis souvent leur grande qualité, deviennent l’art populaire par excellence. Le 30 ou le 50 minutes, c’est la bonne durée pour capter notre attention sollicitée de toutes parts, sur notre canapé. Et la bonne série, c’est celle qui sait monter des scènes d’images-sons intenses, pour nous rendre addicts.

A tel point que nous nous racontons nos vies comme des séries, parce que nous voulons vivre de l’intense. Cette forme contemporaine du roman populaire oriente notre imaginaire (avec la téléréalité et les jeux vidéo, autres images…). Et l’actualité devient elle-même une série quotidienne, à base elle aussi d’images-sons intenses, fournies de plus en plus par nos smartphones. Avec des personnages aussi ! L’actualité française, c’est une série en cinq saisons, dont le personnage principal est le Président. Un quinquennat, c’est une suite d’épisodes diffusés en photos ou vidéos, presque chaque jour.

Et un présidentiable sérieux désormais se rapproche d’un personnage de série : il doit avoir une gueule et une histoire personnelles qui prennent l’image-son, rejoignent le récit qu’il propose des dérèglements du pays. Et cohérents aussi avec le combat qu’il veut mener, face à l’adversité des événements que l’actualité lui impose. Attention : s’il répugne à jouer le jeu et rate quelques scènes, voyez François Hollande, on réclamera un changement d’acteur et de rôle, pour une nouvelle série quinquennale. On a besoin d’un personnage dans lequel on se projette, du moins dans lequel une base sociale assez large va pouvoir se projeter. Cette ultra-personnalisation a son revers : la détestation d’autres groupes sociaux, quand le personnage principal leur devient répulsif à force d’être vu et entendu…

Selon vous, le culte de la visibilité relève d’une forme de néo-protestantisme. En quoi ?

Il y a une forte analogie avec l’histoire et la culture protestantes, dont le mot clef est la désintermédiation ! La révolution numérique rappelle celle de l’imprimerie : après Gutenberg, on peut imprimer la Bible dans des langues locales plutôt qu’en latin et la diffuser ainsi bien plus largement. Le protestantisme s’est répandu par l’accès direct, sans l’intermédiaire du clergé honni, à la Bible imprimée et à Dieu. Et chacun peut y devenir pasteur. Qu’est-ce que le numérique sinon une autre désintermédiation formidable, où on a accès direct à l’information et au savoir, en défiance des autorités instituées, à commencer par le clergé journalistique (mais aussi des "intellectuels", professeurs, et bien sûr des politiques !). C’est aussi l’accès démocratisé à la visibilité qui exauce le désir d’être vu et le besoin de s’exprimer, pour trouver les signes d’une "élection" ! L’information enfin, se diffuse par communauté idéologique, avec ses propres interprétations, via de nouveaux pasteurs concurrents, des éditorialistes et autres grands prêtres : les influenceurs. C’est une rupture dans notre culture "catho-laïque", fondée sur la hiérarchie et la verticalité.

La transparence est inhérente à l’âge de la visibilité généralisée, qui privilégie l’individu en gros plan, transformé en personnage, sur la fonction et l’institution qu’il incarne

On peut prolonger l’analogie : l’église médiatique dominante a été obligée de réagir à cette Réforme numérique par une contre-Réforme ! Du fait de sa dépendance économique à la viralité numérique, deux leviers de reconquête ont été mobilisés en particulier, pour le meilleur ou pour le pire : l’enquête d’investigation, qui gagne la plupart des médias, et puis l’exercice de fact-checking qui consiste à démêler le vrai du faux dans ce qui fait polémique. C’est ainsi que les médias réaffirment leur monopole du sermon légitime sur ce qui se passe, pour retrouver une crédibilité auprès des brebis égarées sur les réseaux sociaux… L’autre choix, peut-être plus pertinent, est de constituer autour d’un média une communauté idéologique numérique.

Vous pointez l'obsession pour la transparence. Plus que la "tyrannie de la visibilité", n’est-elle pas la conséquence d’une démocratisation de nos sociétés, associée à une prolifération d’affaires et de scandales qui ont touché et décrédibilisé durablement la classe politique ?

Il y a une tension entre la vertu démocratique de la transparence que vous soulignez et ses vices républicains ! Les vices républicains sont l’éviction des sujets majeurs au profit de scandales dont l’importance est très variable (les affaires les plus décisives, comme le financement libyen soupçonné de certains sarkozystes, semblent moins interpeller que des homards photographiés à l’Hôtel de Lassay : tyrannie de l’image…). Et puis tout de même le respect de la présomption d’innocence, passée par pertes et profits sans état d’âme ! Au point qu’on en vient à devoir démissionner sans même une mise en examen.

"La transparence est inhérente à l’âge de la visibilité généralisée, qui privilégie l’individu en gros plan, transformé en personnage, sur la fonction et l’institution qu’il incarne."

Mais le problème est tranché : la transparence est inhérente à l’âge de la visibilité généralisée, qui privilégie l’individu en gros plan, transformé en personnage, sur la fonction et l’institution qu’il incarne. Fin de la séparation du public et du privé : on veut savoir avec qui couche nos gouvernants et combien ils nous coûtent ! Les gouvernants ne peuvent plus feindre de l’ignorer ou de s’en offusquer. A eux d’agir en conséquence – la sobriété est bonne conseillère, voilà au moins une vertu de la transparence, qui incite à la décence... Car je l’ai déjà souligné : l’investigation est devenue une arme médiatique décisive, dans la bataille entre pouvoir politique et pouvoir médiatique. Mediapart et le Canard enchainéétaient le noyau dur du journalisme d’investigation tant critiqué ; je constate que presque tout le monde s’y met, parce que une enquête est très virale et donne de la visibilité…

Souhaitons simplement qu’il reste encore quelques personnes de qualité pour jouer les personnages-gouvernants sur nos écrans dans les années qui viennent. Elles devront passer au crash-test de la transparence. La présidentielle de 2017 avec l’affaire Fillon a été un accélérateur, pas une parenthèse.

La lutte pour la visibilité a-t-elle remplacé la lutte des classes ?

Elle en est plutôt une modalité de plus en plus obligée : les rapports de visibilité s’entremêlent aux rapports de classe entre diplômés métropolitains et classes moyennes et populaires des périphéries. Les invisibles veulent accéder à la visibilité. Cela ne concerne pas seulement les groupes sociaux : les affirmations identitaires recourent elles aussi à la visibilité, et d’abord dans l’espace quotidien…

Passons vite sur la lutte pour la visibilité au sein des catégories dirigeantes, dans le cadre de la lutte des places : c’est un phénomène médiatique ancien. J’insiste pour ma part sur la lutte collective pour la visibilité, celle qui permet d’attirer l’attention publique, des médias et ainsi du pouvoir, pour obtenir reconnaissance et sécurité : elle est devenue un principe très actif de notre démocratie, et de concurrence entre groupes sociaux. Ici, les gilets jaunes font cas d’école.

Ce n’est pas seulement l’histoire d’un vêtement de détresse devenu signe d’appartenance à la France périphérique, celle du rond-point, du centre commercial et du pavillon. L’enjeu est surtout : comment "prendre l’image" ? Prendre l’image pour non pas prendre le pouvoir, mais pour l’interpeller, le déstabiliser, afin d’obtenir gain de cause. Et prendre l’image, cela veut dire provoquer de l’image-intense, celle qui est virale, des chaines d’info aux réseaux sociaux et aux JT. Et qu’un pouvoir ne peut ignorer, auquel il est obligé de réagir. La violence en est de fait un bon moyen...

Dans ces conditions, le vote devient aussi un moyen de compenser son invisibilité ou de contester la trop grande visibilité des autres. On peut analyser les élections européennes de juin 2019 comme une réaction à la visibilité des gilets jaunes conquise de l’automne 2018 au printemps 2019, qui capte toute l’attention publique. La mobilisation des métropoles y a répondu, en faveur du macronisme et de l’écologisme. Le vote lepéniste, lors d’autres élections, a été aussi un moyen de lutter contre l’invisibilité de la France populaire.

L’ère de la visibilité est une nouvelle illustration du théorème d’Archimède : tout groupe social plongé dans une forte visibilité suscite en réaction une poussée contraire d’invisibles, sous différentes formes.

En quoi le numérique favorise-t-il le populisme ?

Le numérique fonctionne à la désintermédiation "protestante", contre les institutions, contre ceux qu’on voit trop et qu’on entend trop, la visibilité numérique venant compenser en partie la visibilité médiatique des "Importants". Il s’organise en communautés souples qui peuvent devenir des contre-sociétés : les gilets jaunes nous l’ont montré par des groupes et des pages Facebook montés en moins de trois semaines. Ils ont d’ailleurs inspiré d’autres contestations mondiales en 2019, où les réseaux sociaux jouent un rôle décisif. En France, nous sommes obnubilés par Twitter, parce que les catégories dirigeantes, en particulier journalistiques et politiques, y sont très présentes. Mais le phénomène massif, c’est Facebook : 35 millions de comptes actifs, le cœur de la population active, avec de plus en plus de jeunes retraités. Quant à la jeunesse, elle est sur Instagram : Greta Thunberg y a près de 10 millions d’abonnés …

Regardons un peu autour de nous : le succès de Trump, ce n’est pas seulement ses tweets, pour mobiliser chaque jour sa base, c’est aussi la mobilisation négative, au moment de la campagne, contre Hillary Clinton, figure de l’establishment, par la publicité ciblée sur Facebook, dans les swing states. En Italie, Beppe Grillo, fondateur du Mouvement 5 étoiles, s’exprimait hier par un blog, contre les médias dominants berlusconiens. Salvini aujourd’hui est le politique européen le plus présent et le plus suivi sur Facebook et Instagram. Les leaders populistes donnent le ton de la communication politique de l’ère de la visibilité, parce que le numérique est culturellement populiste…

"Le numérique construit un individu qui recherche l’élection de la visibilité, individuelle ou collective."

Mais pour qu’il y ait réaction populiste, il fallait d’autres ingrédients décisifs : l’affirmation libérale ou néo-libérale, aux Etats-Unis et en Europe, tout à fait aveugle aux perdants qu’elle produit et dont le principe même est de réduire la puissance du politique, donc la portée du vote démocratique. Affirmation libérale, une crise financière qui a accéléré le déclassement de la population, puis ensuite forte visibilité de la "crise des migrants", le tout pendant une révolution culturelle (la désintermédiation numérique) : voilà les ingrédients de la situation "populiste".

Vous relevez trois impensés de "l’homme visible, au moins dans nos contrées européennes" : "le narcissisme, l’antipolitisme, le goût de l’hostilité ". En quoi sont-ils importants et dangereux ?

Le narcissisme ne se limite pas au selfie des touristes que nous sommes : cette maladie touche les dirigeants comme leurs contestataires, car la visibilité est une ivresse ! Nous sommes à une époque où, pour exister, il faut tout de même beaucoup s’aimer... ça ne prédispose pas toujours à la compréhension de ce qui nous précède, nous excède et nous succèdera. C’est à dire à l’histoire.

Le numérique construit un individu qui recherche l’élection de la visibilité, individuelle ou collective, comme modalité de reconnaissance, et qui va s’inscrire dans un archipel de communautés d’affirmation, souvent véhémentes, souvent identitaires – le militant intégriste est très visible, vous avez remarqué ? D’où un goût des hostilités développé : le numérique n’a pas inventé les "bulles cognitives" et les "biais de confirmation", caractéristiques de toute collectivité humaine ! En revanche le numérique génère la confrontation quotidienne des bulles et communautés, et ça c’est nouveau : les entre-soi s’y disputent chaque jour !

Toutes les contestations auxquelles nous avons assistées en 2019, dans divers pays, mais aussi celle de la jeunesse autour de Greta Thunberg, se rejoignent dans le rejet viscéral de la classe dirigeante couplée à leur extrême difficulté, voire leur refus de toute forme de structuration, d’organisation, pour remplacer cette classe dirigeante ! Pas de leaders qui émergent, pas de mouvements qui se structurent. Donc du dégagisme, mais pas d’alternative. C’est cela l’antipolitisme : le rejet de la représentation existante, souvent avec de bonnes raisons, mais une incapacité à construire. Or on ne détruit bien que ce qu’on remplace, et les classes dirigeantes trouvent là le moyen de se perpétuer...


Italie : les médecins qui aideront leurs patients à mourir ne seront plus sanctionnés

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Les médecins ouverts à l’aide médicale à mourir, se disent satisfaits et surtout, soulagés.
C’est une décision historique qui divise la communauté médicale : en Italie, les praticiens qui administreront l’aide médicale à mourir à un patient, ne seront plus sanctionnés par la commission disciplinaire de l’Ordre des médecins.

A l'heure où en France, la Haute Autorité de santé a demandé ce 10 février au pouvoir public de permettre la dispensation en ville du midazolam, puissant sédatif utilisé pour mettre en œuvre les sédations profondes et continues jusqu’au décès, l'Italie a franchi un pas de plus vers la fin de vie. Le Conseil de la Fédération nationale des Ordres des médecins (Fnomceo), a décidé à l’unanimité de modifier son code de déontologie médicale pour s’aligner sur une décision de justice rendue en septembre dernier par la Cour constitutionnelle.

Dans leur verdict, les juges saisis du cas d’un responsable du parti radical italien (pro-euthanasie) qui avait accompagné en Suisse un italien resté tétraplégique et aveugle après un accident de la route, avaient estimé que le suicide assisté pouvait être licite en Italie. A condition toutefois que le patient soit consentant, atteint d’une pathologie irréversible provoquant des souffrances insoutenables et qu’un comité d’éthique médical local ait vérifié ses conditions et les modalités d’exécution de l’aide médicale à mourir. Pour la Fnomceo, modifier le code de déontologie médicale était une décision incontournable après un tel verdict. "Nous avons décidé d’aligner les procédures disciplinaires sur les sanctions pénales afin de laisser à nos confrères la possibilité d’agir selon leur conscience et en fonction de la loi mais tout en réaffirmant les principes inscrits dans l’article 17 de notre code de déontologie selon lesquels un médecin ne peut pas administrer une aide pouvant provoquer la mort même si le patient le demande", explique le Dr. Filippo Anelli, président de la Fnomceo.

Pour les commissions disciplinaires des différentes sections régionales de l’Ordre des médecins qui devront évaluer chaque cas, interpréter ce nouveau principe risque d’être compliqué, la ligne de démarcation étant pour le moins extrêmement subtile. "Il faudra vérifier que toutes les conditions évoquées par la Cour constitutionnelle sont réunies car dans ce cas, le praticien ne pourra pas être sanctionné, ce système nous permettra de protéger la liberté de conscience des médecins, le principe d’autodétermination du patient et l’autonomie des Ordres régionaux", affirme le Dr. Anelli.

Code de déontologie

Après avoir protesté contre la décision de la Cour en septembre dernier, la puissante Association des médecins catholiques italiens (AMCI) a déjà réagi. Dans un communiqué officiel, l’AMCI a affirmé que le code de déontologie ne peut pas être changé, même si le parlement modifie la loi actuellement en vigueur. L’association a aussi évoqué la possibilité pour ses adhérents d’exercer leur droit à l’objection de conscience, comme dans le cas de l’IVG. L’indignation monte également du coté de l’Eglise et notamment de la Conférence épiscopale des évêques italiens (Cei) qui s’est déjà exprimée catégoriquement sur la question de l’euthanasie toujours en septembre dernier en déclarant que mieux vaut "réduire la douleur plutôt qu’éliminer la personne souffrante". En revanche, les médecins ouverts à l’aide médicale à mourir, se disent satisfaits et surtout, soulagés. "La décision de l’Ordre qui aurait du être prise depuis longtemps, entérine tout simplement une situation de faitcar de nombreux médecins ont aidé des patients en fin de vie à mourir" estime le Prof. S sous couvert d’anonymat.

Car même si l’Ordre des médecins a modifié son code de comportement éthique et que la Cour constitutionnelle a ouvert une brèche en demandant aux parlementaires de légiférer, ce médecin chirurgien spécialisé en virologie risque encore - en théorie - une peine de cinq à douze ans de prison pour avoir aidé l’une de ses patientes il y a quelques années. "Lorsqu’elle m’a demandé d’intervenir j’ai réfléchi pendant deux jours, je n’avais pas peur des conséquences, les sanctions, la prison, c’était plutôt d’un point de vu moral, éthique, cela a été très dur, avant, pendant et surtout après, aujourd’hui, je suis encore convaincu qu’abréger les souffrances est un devoir moral pour un médecin", confie le Professeur S. Comme lui, d’autres l’ont fait mais refusent d’en parler même entre eux. "C’est un sujet tabou, une décision tellement difficile à prendre qu’on n’arrive pas à en parler, personnellement, je ne le ferais pas pour des raisons d’ordre spirituel mais que certains médecins puissent et surtout, aient le courage de le faire, est assurément un bien", estime le Docteur Macri.

Au parlement où cinq projets de lois ont été déposés, la discussion a été brutalement interrompue en juillet dernier et la date de reprise des débats n’a pas encore été fixée.

"Laisse aller ton serviteur" : le roman qui raconte l'itinéraire spirituel du jeune Bach

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Un premier roman aux allures d’hagiographie coupable.
À mi-chemin entre le fragment hagiographique et l’exercice de style lorgnant vers la mystification littéraire, le premier roman du talentueux Simon Berger narre les circonvolutions du jeune Bach à la recherche d’un « maître pour chanter l’ici-bas », dans les pas de Rilke.

Laisse aller ton serviteur raconte avant tout un voyage. Celui effectué par Bach à l’hiver 1705 pour rejoindre Buxtehude à Lübeck et apprendre auprès du maître. Soient quatre cent kilomètres effectués pour s’affranchir d’Arnstadt et de la tutelle du Consistoire de Thuringe, où Bach opérait tous les dimanches durant la messe en qualité d’organiste. La vie de Bach était alors bien réglée, et l’artiste jouissait d’une postérité établie au préalable en même temps que l’arrivée du prodige dans la ville depuis 1703. C’est qu’Arnstadt était né historiquement avec l’orgue de Bach. Ce dernier jouait chaque semaine ses créations de la semaine, sans chercher à faire preuve de génie ni d’inventivité.

Une qualité appréciée à Arnstadt, où l’on sait reconnaître à juste titre quelqu’un qui sait rester à sa place – et où la foi prime sur la musique. « Après deux heures passées à colmater les brèches du divin ouvrage, on s’en retournait chez soi, on faisait chauffer un potage, et à la semaine prochaine. » Une vie d’ermite infructueuse pour Bach, qui souffre de son isolement. Jusqu’à ce qu’il accède, par l’intermédiaire d’un élève, à une énigmatique partition. Lui, le professeur à destination des provinciaux bien nés voyait son quotidien remis en question par l’arrivée de cette partition qui refusait de se laisser dompter. À Arnstadt, il s’agissait avant tout de ne pas faire œuvre pour ne pas éclipser Dieu.

Chanter Dieu

Et voici qu’un document arrivait en sa possession, qui chantait Dieu au point de remettre en doute l’ordre du monde tel qu’il va. L’auteur en était Buxtehude, le maître de Lübeck. Simon Berger adopte alors le ton de la fable pour narrer l’arrivée de la partition ainsi qu’un miracle. « Le Consistoire avait peur de l’œuvre qui arrivait. Ce n’était plus une œuvre pour admirateurs, pour édiles, pour professeurs et élèves ; ce qui arrivait était une œuvre pour musicien, ou pis encore. » L’œuvre en question s’intitulait Membra Jesu nostri patientis sanctissima humillima totius cordis devotione decanta. Elle datait de 1680. Elle s’empara de Bach jusqu’à l’amener dans un état fiévreux.

Bach doit se mettre en route pour savoir. Son hermétisme le fascine. Ses créations l’enchantent, car elles sont porteuses de vérités. Entre les institutions et Bach, le torchon a brûlé : on lui reproche son idolâtrie, puisque la musique a remplacée la foi. Il est temps de se mettre en route et de conquérir Lübeck telle une nouvelle Jérusalem, une Géthsani rénovée. Simon Berger narre avec style chaque village outrepassé comme une nouvelle frontière. Il chante les ruines et l’entrée des villes, les déboires et la perte de soi. Un itinéraire d’apprentissage qui mènera le serviteur à son maître pour épouser la légende et les nourritures célestes de Butxehude. Un premier roman aux allures d’hagiographie coupable. L’itinéraire spirituel de Bach en quête d’une « hostie d’encre noire » et de son génial créateur. Soit l’œuvre nécessaire du génie et son double.

Le résultat ? L’ascension religieuse vers le père de la musique baroque, Dietrich Buxtehude, dans un récit de formation et d’introspection écrit en lettres d’or.

Laisse aller ton serviteur, de Simon Bergé, Éditions Corti, Domaine français, 112p., 14€

Crypto AG, l'entreprise suisse qui a permis à la CIA d'espionner 120 pays pendant quarante ans

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Crypto AG a obtenu son premier contrat pendant la Seconde Guerre mondiale, pour fabriquer des machines codeuses utilisées par les troupes américaines.
Une enquête du Washington Post révèle ce mardi 11 février que la société suisse Crypto AG, spécialisée dans la fabrication de dispositifs de chiffrement, était en réalité détenue par la CIA et les renseignements ouest-allemands, permettant à ces deux services de déchiffrer les messages codés de dizaines de pays entre les années 60 et 2010.

Ne jamais mettre tous ses œufs dans le même panier. Pendant plus de quarante ans, de la fin des années 60 au courant des années 2000, des gouvernements du monde entier s'en sont remis à cette seule entreprise, Crypto AG, pour assurer la confidentialité des communications de leurs espions, soldats et diplomates. Or, comme le révèle le Washington Post ce mardi 11 février, l'entreprise, vendue en 2018, était secrètement noyautée par la CIA, en partenariat avec les renseignements ouest-allemands, en leur temps. Les deux agences truquaient les produits de Crypto afin de casser les codes utilisés pour les messages chiffrés.

La firme suisse a accumulé des millions de dollars en vendant des équipements à plus de 120 pays – dont 62 connus - jusqu'au début du 21ème siècle. Parmi ses clients : l'Iran, les juntes militaires d'Amérique latine, les rivaux nucléaires indiens et pakistanais, et même le Vatican.

La liste des 62 Etats figurant parmi les clients connus de Crypto. - Capture d'écran Washington Post

Parmi les secrets les mieux gardés de la Guerre froide, cet arrangement entre les Etats-Unis et la RFA, connu sous le nom d'opération "Rubicon", est détaillé dans un rapport historique de la CIA de 96 pages daté de 2004, que le Washington Post et la chaîne de télévision publique allemande ZDF. Ce document est complété par les retranscriptions de comptes-rendus oraux du renseignement allemand remontant à 2008.

Camp David, Noriega et Malouines

Crypto AG a obtenu son premier contrat pendant la Seconde Guerre mondiale, pour fabriquer des machines codeuses utilisées par les troupes américaines. Inondée de dollars, l'entreprise est devenue un fabricant de dispositifs de cryptage pendant des décennies, passant des rotors mécaniques aux puces en silicone. A partir de la fin des années 60, la CIA, la NSA et leurs partenaires allemands ont piloté de loin tous les aspects du développement de Crypto : embauches, conception, trucage, et bien sûr ventes. Intéressés par ce partenariat prometteur, les services français en ont finalement été exclus en 1969, à la demande expresse des Etats-Unis.

Les communications égyptiennes lors des négociations de Camp David en 1978, l'évolution de la prise d'otage à l'ambassade américaine de Téhéran entre 1979 et 1981, les messages argentins pendant la guerre des Malouines en 1982… Autant de renseignements parvenus aux oreilles de la CIA grâce à Crypto. En 1989, l'opération Rubicon a permis de collecter des informations décisives dans la traque du leader panaméen Manuel Noriega, lorsque ce dernier a tenté de trouver refuge dans une nonciature apostolique équipée des dispositifs de chiffrement Crypto.

Selon le rapport dévoilé par le Washington Post, la CIA estime avoir pu lire 80 à 90 % des messages codés iraniens envoyés à la fin des années 80. Sans appareil trafiqué, ce chiffre n'aurait pas dépassé les 10 %. A l'époque, dans les années 70 et 80, les renseignements issus de Crypto représentaient à eux seuls près de 40 % de l'activité de la NSA. "Des gouvernements payaient grassement les Etats-Unis et l'Allemagne de l'Ouest pour avoir le privilège de dévoiler leurs communications les plus secrètes à au moins deux puissances étrangères", résume le rapport de CIA.

Société revendue en 2018

URSS et Chine, à raison méfiantes, n'ont jamais figuré parmi les clients de Crypto. Il semble toutefois que la CIA n'ait pas perdu une miette des échanges de ces puissances communistes grâce à des pays tiers munis d'appareils trafiqués. Un doute insistant pesait cependant sur Crypto, notamment depuis l'arrestation d'un vendeur de l'entreprise en Iran, en 1992, un doute insistant pesait sur Crypto.

L'importance de Crypto sur le marché de la sécurité est allée décroissante, la production de la société étant rendue peu à peu obsolète par l'essor des technologies de cryptage en ligne, devenues monnaie-courante pour les applications de smartphones. Le Bundesnachrichtendienst (BND, les renseignements allemands), en est venue à penser que l'opération était trop risquée, et a donc quitté le navire au début des années 90.

Plus confiante, la CIA a alors racheté les parts du BND dans la société Crypto, poursuivant ses activités jusqu'à 2018, date à laquelle l'agence a liquidé ses parts dans l'entreprise, pour 50 à 70 millions de dollars, selon les estimations du Post. L'identité des anciens actionnaires, protégée par la législation du Liechtenstein, demeure toutefois inconnue.


"Vous avez précipité le lycée dans un chaos indescriptible" : lettre ouverte à la rectrice de Bordeaux

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"Le sentiment d'humiliation et la conscience d'être violentés étaient collectifs. Ce qui s'est joué ce matin là au lycée Montesquieu à Bordeaux n'avait plus rien à voir avec l'école de la République, plus rien à voir avec le baccalauréat ou les E3C."

Madame la rectrice de Bordeaux,

En prenant la décision de faire passer l'épreuve d'E3C annulée la veille le lendemain matin, vous avez placé toute la communauté éducative du lycée Montesquieu de Bordeaux dans une situation catastrophique. Les professeurs du lycée ont découvert, 15 minutes avant de prendre leur service, que le lycée était interdit d'accès pour les élèves de terminales et de secondes et que seuls les élèves de premières pouvaient entrer. En l'absence d'information, les élèves, les professeurs et le personnels de l'établissement découvraient cette situation sur le fait. Les élèves de premières étaient alors sommés de passer leur épreuve de baccalauréat séance tenante sans avoir été prévenus et dans une indescriptible désorganisation. Le climat anxiogène était palpable en dépit des efforts des enseignants pour rassurer certains élèves en panique.

Vos services ont argué, en face d'une petite délégation composée d'un professeur et de quelques élèves concernés, que cette décision était la conséquence de l'agitation de la veille et de menaces pour la sécurité des biens et des personnes. S'il n'y avait pas eu la manifestation des enseignants la veille, rejoints par des avocats et des parents d'élèves, les élèves du lycée n'auraient pas massivement refusé de composer et il n'y aurait pas eu de problèmes le mardi. Cet argumentaire correspond en tous points à celui de Monsieur le Ministre Jean-Michel Blanquer : les enseignants et les élèves mobilisés seraient les seuls responsables du désordre actuel. La nécessité légale de passer ces épreuves justifierait par conséquent des mesures exceptionnelles que vous n'hésitez pas à prendre en face de "groupuscules radicalisés", qu'il s'agisse d'élèves ou de professeurs, pour reprendre l'expression de notre ministre de tutelle Monsieur Blanquer.

Le sentiment d'humiliation et la conscience d'être violentés étaient collectifs.

La question se pose pourtant de comprendre le sens d'une décision qui consiste à mettre des élèves de première dans une telle situation pour passer ce qui constitue leur première épreuve de baccalauréat. Que des "groupuscules radicalisés", composés de professeurs chevronnés et d'élèves concernés par leur avenir, soient irresponsables, cela est inclus dans la définition même de l'odieux miroir que leur tend le ministre. Ce qui est moins évident à comprendre c'est le sens d'une décision émanant d'une administration responsable qui place les élèves de la République dans une telle situation, piégés dans un lycée, en partie cadenassé, sans leurs camarades de terminale et de seconde, sommés de rattraper une épreuve de baccalauréat sans être prévenus à l'avance. Comment une telle situation peut-elle se produire dans notre République ?

La raison profonde qui vous a conduit à précipiter le lycée dans un chaos indescriptible, c'est le pur rapport de force. Dans une situation de conflictualité sociale légitime étant donné l'ampleur de la spoliation, en particulier pour les professeurs, le ministère veut imposer sa domination par une force disproportionnée avant toute autre considération d'intérêt général.

Quand la question du pouvoir et de la domination est en jeu, quand il s'agit de montrer qui est le maître, l'intérêt de l'élève s'efface soudain. Les intérêts institutionnels, les enjeux de pouvoir, prennent le pas sur ce qui fait le sens de notre mission éducative. L'élève n'est plus que masse et nombre, quantité que l'on trie, après une heure de bus pour certains élèves, au seuil du portail sans autre explication que l'ordre intimé. Les terminales et les secondes non ; les premières oui. Le stress sur les visages, les pleurs, les crises d'angoisse, tout cela est invisible pour ceux qui n'étaient pas là ce triste matin de janvier. Lycée ou prison, la question était devenue soudain indécidable. Le sentiment d'humiliation et la conscience d'être violentés étaient collectifs. Ce qui s'est joué ce matin là au lycée Montesquieu à Bordeaux n'avait plus rien à voir avec l'école de la République, plus rien à voir avec le baccalauréat ou les E3C.

Il n'y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l'on exerce à l'ombre des lois et avec les couleurs de la justice.

Montesquieu

Reste enfin la peur, la peur des sanctions, la peur induite par des intimidations sourdes. Collectivement, nous n'avons pas peur. Cette peur est incompatible avec le principe éducatif sans lequel aucune émancipation n'est possible : ose te servir sans peur de ton propre entendement. La République est un idéal, écrivait Marc Bloch en 1943, une exigence, un courage. C'est en faisant appel, Madame la Rectrice, à ses vertus cardinales que nous concluons cette lettre. Nous les partageons avec vous, nous nous devons de le croire. Depuis le parvis d'un grand lycée qui porte le nom d'un homme qui ne dissociait pas les lois de l'esprit, nous vous adressons nos salutations en laissant à Montesquieu le dernier mot. "Il n'y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l'on exerce à l'ombre des lois et avec les couleurs de la justice."

Signataires :

1. Harold Bernat, professeur de Philosophie

2. Vincent Bedat, professeur de Lettres et Occitan

3. Arnaud Blin, professeur de Sciences et Vie de la Terre

4. Leslie Carré, professeure de Lettres-Théâtre

5. Eric Coeur, professeur de Mathématiques

6. Nicolas Chambaret, professeur de Sciences Economiques et Sociales

7. Nathalie Chevalier, professeure de Sciences Physiques

8. Daniel Dawe, professeur d'Anglais

9. Martine Delarbre, professeure de Philosophie

10. Loetitia Dequeant, professeure d'Histoire-Géographie

11. Loïc Fouqué, professeur de Sciences Physiques

12. Vincent Gacquer, professeur de Sciences Physiques

13. Guilhem Granier, professeur d'Education Physique et Sportive

14. Laurent Glachet, professeur de Sciences physiques

15. Jean Glisia, professeur de Mathématiques

16. Béatrice Goulet, professeure de Lettres-Théâtre

17. Laurence Gouvard, professeure d'Histoire-Géographie

18. Martin Hassler, professeur d'Anglais

19. Josiane Huin, professeure d'Education Physique et Sportive

20. Pauline Jarrige, professeure d'Histoire-Géographie

21. Elena Jantorre, professeure d'Espagnol

22. Vicky Kass-Canonge, professeure de Mathématiques

23. Florence Laville, professeure de Lettres Classiques

24. Lebrun Sophie, professeure de Sciences de la Vie et de la Terre.

25. Laurence Le Galloch, professeur de philosophie

26. Eric Leroi, professeur d'Histoire-Géographie

27. Olivier Mauprivez, professeur de Sciences Physiques

28. Stéphane Millaret, professeur de Mathématiques

29. Jean-Christophe Montané, professeur de Lettres-Cinéma

30. Sylvie Mori, professeure de Lettres Classiques

31. Béatrice Muratet, professeure d’Italien

32. Guillaume Pastureau, professeur de Sciences Economiques et Sociales

33. Valentina Perea, professeure d'Espagnol

34. Virginie Potier, professeur de Sciences Economiques et Sociales

35. Frédéric Poupon, professeur de Lettres Classiques

36. Françoise Puel, professeure d'Histoire-Géographie

37. Paloma Tunon de Lara, professeure d'Espagnol

38. Carol Zimmermann, professeure d'Histoire-Géographie

"Nous avons droit au blasphème" : Macron soutient Mila, à qui l'Etat doit "une protection"

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Emmanuel Macron avait déjà évoqué "la liberté de blasphème" lors d'un déplacement au festival de BD d'Angoulême, le 30 janvier dernier.
Emmanuel Macron prend la défense de Mila. Dans un entretien au Dauphiné Libéré paru ce mercredi 12 février, le président de la République réaffirme le "droit au blasphème" et à "critiquer les religions", défendant l'adolescente à qui l'"on doit une protection".

Voilà qui clarifie la position du gouvernement dans l'affaire Mila, après les approximations de la garde des Sceaux, Nicole Belloubet. Dans un entretien au Dauphiné Libéré (article payant) paru ce mercredi 12 février, le président de la République réaffirme le "droit au blasphème" et à "critiquer les religions", défendant l'adolescente à qui l'"on doit une protection".

Comme l'avait rapporté Marianne, Mila a dû quitter son lycée en Isère après avoir été menacée de mort sur les réseaux sociaux en raison de propos hostiles à l'islam, tenus le 19 janvier dernier en réponse à des insultes à caractère raciste et homophobe. "Je déteste la religion, (...) le Coran il n'y a que de la haine là-dedans, l'islam c'est de la merde, c'est ce que je pense", avait-elle lancé sur Instagram.

La polémique a ensuite fait irruption dans la sphère politique après des déclarations de la ministre de la Justice Nicole Belloubet selon laquelle l'"insulte à la religion" est "une atteinte à la liberté de conscience", propos dont elle a regretté plus tard "l'inexactitude". Pour sa part, Mila persiste et signe : "Je ne regrette absolument pas mes propos, c'était vraiment ma pensée", a-t-elle déclaré sur le plateau de l'émission Quotidien le 3 février.

"Dans ce débat, on a perdu de vue que Mila est une adolescente", a estimé Emmanuel Macron, interrogé sur la polémique. "On lui doit donc une protection à l'école, dans sa vie quotidienne, dans ses déplacements. L'Etat a pris ses responsabilités", a-t-il ajouté en référence à la solution de rescolarisation annoncée le 6 février par le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer. "Elle est dans une situation très particulière que nous condamnons, donc nous l'aidons avec une certaine discrétion car l'objectif est de la rescolariser paisiblement pour qu'elle ait une vie normale", avait-il indiqué.

"Ce qui est interdit, c'est l'appel à la haine"

Le chef de l'Etat estime que les enfants doivent "être mieux protégés" contre les "nouvelles formes de haine et de harcèlement en ligne". "Je sépare cet impératif de la question sur la critique des religions. La loi est claire : nous avons droit au blasphème, à critiquer, à caricaturer les religions", a souligné Emmanuel Macron. "L'ordre républicain n'est pas l'ordre moral", a-t-il insisté, avant de préciser: "Ce qui est interdit, c'est l'appel à la haine, l'atteinte à la dignité".

Emmanuel Macron avait déjà évoqué "la liberté de blasphème" lors d'un déplacement au festival de BD d'Angoulême, le 30 janvier : "Dans notre pays la liberté d'expression est protégée, dans ce pays et il y en a peu dans le monde, la liberté de blasphème est protégée, de critiquer les dirigeants, de les railler et ça c'est un trésor."

Le parquet de Vienne, qui avait ouvert une enquête pour "provocation à la haine à l'égard d'un groupe de personnes, en raison de leur appartenance à une race ou à une religion déterminée", l'a classée sans suite. Les enquêteurs poursuivent en revanche leurs investigations pour trouver les auteurs des menaces de mort exprimées à l'encontre de la jeune fille qui a porté plainte.

"Elle a montré la voie aux femmes qui voulaient faire de la BD" : Claire Bretécher, une battante qui n'avait peur de rien

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Claire Bretécher a croqué trois décennies de son regard perçant, sans jamais faire la moindre concession au politiquement correct.
La plus célèbre des auteures de bande-dessinée nous a quittés à l’âge de 79 ans. Pionnière du Neuvième Art, créatrice de Cellulite, d’Agrippine et des Frustrés, elle a croqué trois décennies de son regard perçant, sans jamais faire la moindre concession au politiquement correct.

Née à Nantes en 1940 dans une famille conservatrice, Claire Bretécher dessine depuis son plus jeune âge. Après un passage aux Beaux-Arts, elle n’a qu’une hâte : gagner Paris et la liberté. C’est chose faite à dix-neuf ans. Là, elle se met tout de suite au boulot, enchaîne les visites aux rédactions de journaux qu’elle démarche avec son accent tout droit sorti des films d’Éric Rohmer, et alterne les petits boulots et les cours de dessins qu’elle donne dans le secondaire. D’abord publiée dans Ici Paris et Rallye, elle débute véritablement sa carrière en vendant ses dessinsaux curés du groupe Bayard, qui publie notamment Le Pèlerin.

Rue Albert Ier, face à l’imposant immeuble du groupe de presse catholique, la jeune femme faisait la queue au milieu d’une cohorte d’auteurs, espérant voir un de ses dessins retenus. Déjà, elle devait se sentir bien seule : « C’est une pionnière», témoigne sa consœur et amie Florence Cestac, qui ajoute : « Elle a montré la voie aux femmes qui voulaient faire de la BD. Sans elle, jamais je ne me serais lancée.» Il faut dire que son style détonne : non contente d’être la seule femme dans un milieu intégralement masculin, Claire Bretécher impressionne par son talent, son culot et sa beauté : des traits d’une harmonie parfaite, un regard bleu cristallin, assortis d’un caractère bien trempé la rendent captivante à plus d’un titre. « Elle envoyait bouler les lourdauds, mais toujours avec humour», raconte Florence Cestac. « Personne n’osait l’emmerder», renchérit Martin Veyron, qui souligne : « Elle n’avait peur de rien.»

Un ton résolument à part

En 1963, René Goscinny, dont les aventures d’Astérix et Obélix cartonnent, lui confie un scénario. Son travail, publié dans L’Os à moelle de Pierre Dac, ne convainc pourtant pas le comparse d’Uderzo. Son jugement est lapidaire : « Il m’a dit d’aller apprendre mon métier», expliquera-t-elle.

Après un intermède au Journal de Tintin, elle est repérée quatre ans plus tard par le géant de l’édition Charles Dupuis. Elle s’affirme alors dans Le journal de Spirou où elle publie Les Gnangnan, certes influencés par Charles Schultz, mais qui se distinguent déjà du style franco-belge propre au magazine par un ton résolument à part. « C’est un peu l’esprit du dessin de presse transposé à la BD, avec une touche bien à elle», juge Fred Lassagne, alias Terreur Graphique, adorateur de Claire Bretécher. On retrouve néanmoins dans la liberté de son trait la quintessence d’André Franquin : aux yeux de l’artiste, celui qui a porté au firmament du Neuvième art le célèbre groom belge et donné vie à Gaston Lagaffe, est tout simplement un génie. Il n’empêche, les temps sont durs : « Mon obsession était de trouver une piaule et de bouffer ! J’avais besoin de fric», témoigne-t-elle dans La Révolution Pilote[i].

Une répartie unique

Grande fan de René Goscinny, elle obtient un nouveau rendez-vous avec le père d’Astérix, sans pour autant lâcher la rédaction de Spirou. Finalement, c’est sa première histoire de Cellulite, une princesse médiévale un brin déjantée et assoiffée de liberté, qui retient enfin l’attention du patron de Pilote au point d’en faire une collaboratrice à temps plein du célèbre hebdomadaire, éternel rival de Spirou.

« Tous les mecs de la rédaction étaient amoureux d’elle», raconte Florence Cestac. Mais c’est grâce à son talent que Claire Bretécher s’est fondue dans la bande de Pilote, forte de personnalités comme Marcel Gotlib, Nikita Mandryka ou René Pétillon et d’autres grands d’un autre âge d’or BD. Mais même insérée dans un collectif dont elle était capable de faire hurler de rire chaque figure, la dessinatrice, dotée d’une répartie unique, gardait un tempérament plutôt solitaire. Or, ce recul paraît à l’origine de son œuvre.

« Elle a développé une BD plus ancrée dans la société, pour mieux critiquer son époque et en rire», analyse Fred Lassagne. Surtout, elle n’hésitait pas à taper. Fort. « Y compris contre son propre camp», celui d’une certaine gauche, précise-t-il, même si l’intéressée se disait « apolitique. » Ce qui ne l’empêchait pas de goûter au « vent de liberté» de mai 68, tout en conspuant les « pseudo-révolutionnaires» seulement intéressés par « le flouze». Le journaliste Éric Aeschimann, co-auteur d’une bande-dessinée sur l’histoire du magazine Pilote, l’entendit ainsi pester contre ces dessinateurs hostiles à Goscinny, coupable à leurs yeux de porter un costume trois-pièces lui donnant des airs de cadre supérieur. « Quand même, ce qu’ils ont été cons !», estimait-elle.

Le succès d’Agrippine

Quand Claire Bretécher participe à la fondation de L’Écho des Savanes en 1972, ce n’est donc pas pour rompre avec Goscinny. Elle y gagne une liberté artistique totale, mais n’a qu’une idée en tête : retourner à Pilote et se réconcilier avec le vénérable scénariste qui, rappelons-le, lui accordait déjà une grande latitude : « J’ai été la première à dessiner une bite dans Pilote », s’enthousiasmait-elle. Elle en ferait bien d’autres dans L’Écho des Savanes, avec ses amis Marcel Gotlib et Mandryka, qu’elle ne quittera jamais.

Elle bifurque pour Le Nouvel Observateur, où paraissent Les Frustrés à partir de 1973. « Ce n’était plus les gauchistes [de 1968, NDLR], mais ce qu’ils étaient devenus», expliquera-t-elle à propos de ces « bobos» avant l’heure qu’elle caricaturait avec délectation. Son tour de force ? Publier cette satire dans le magazine qu’ils chérissaient. Grande première, elle créé dès 1975 sa propre maison d’édition pour s’auto-publier et garder une maîtrise totale sur son travail.

La décennie suivante est marquée par le succès d’Agrippine, dans laquelle elle met en scène une adolescente en pleine crise qui sera adaptée en dessins animés. Touchant aussi à la publicité, Claire Bretécher retourne à la fin des années 1990 à l’université de sa ville natale, jusqu’à soutenir un mémoire de maîtrise en psychologie. C’est en 2009 qu’elle publie le huitième tome d’Agrippine, qui sera sa dernière contribution à la BD. « Elle avait commencé un nouvel album, révèle son ami Martin Veyron. Le sujet ?« La mort, mais on s’attendait à ce que ce soit marrant. Et puis elle a renversé son flacon d’encre de Chine sur la première planche, lâché une volée de gros mots et a tout laissé tomber. »

"Elle n’était pas très intéressée par les honneurs"

Équivalent bédéphile du festival de Cannes, le festival d’Angoulême l’avait déjà honorée : un prix du scénariste en 1975, un Grand Prix spécial en 1983, puis un Alph-Art de l’Humour en 1999. « Pour elle, la véritable reconnaissance lui avait été accordée par René Goscinny et Pilote», assure Isabelle Bastian-Duplex, commissaire de la belle rétrospective qui lui avait été consacrée au centre Pompidou en 2016. « Elle n’était pas très intéressée par les honneurs, et elle ne se souciait pas trop du contenu de l’exposition», précise Isabelle Bastian-Duplex. De fait, la commissaire et son équipe ont eu carte blanche. 53 000 visiteurs avaient alors goûté à cet hommage rendu à une artiste en retrait du milieu de la BD, usée par des décennies passées devant sa planche à dessin. Ce fut aussi pour beaucoup l’occasion de découvrir une peintre, auteur d’autoportraits et de portraits familiaux rarement présentés au public, mais rassemblés en 1983 dans un livre préfacé par Umberto Eco.

Trois ans plus tôt, la mort de son mari, le constitutionnaliste Guy Carcassonne, fut un cataclysme. Atteinte par la maladie d’Alzheimer, elle était restée proche des survivants de Pilote et considérait avec tendresse cette nouvelle génération d’auteurs qu’elle avait marqués, comme Catherine Meurice, Terreur Graphique, Anne Simon, Morgan Navarro et tant d’autres, séduits par son approche unique du dessin, un côté urgent qui dissimulait beaucoup de travail. « Pour moi, c’est la véritable sociologue des années 1970 et 1980», confie Florence Cestac. Son influence perdure bien au-delà, et la trace laissée par Claire Bretécher déborde largement des cases de la BD.




[i] Aeschimann et Nicoby, Dargaud, 144 p., 18 €

Macron cherche des "enchantements" pour se réconcilier avec le "pays réel"

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Emmanuel Macron a reçu les députés de la majorité à l'Elysée, mardi 11 février.
Mardi soir à l’Elysée, Emmanuel Macron a appelé les députés de sa majorité à s’emparer de sujets plus simples et plus concrets en vue de 2022. En bref, à parler la même langue que les Français… Mission impossible ?

Comme un air de campagne à l’Elysée. Mardi soir, Emmanuel Macron recevait les députés de la majorité pour une séance de « calinothérapie », selon le terme médiatiquement consacré. Après la retentissante polémique sur l’allongement du congé parental après le deuil d’un enfant, refusé par la Macronie dans un premier temps, le chef de l’Etat avait jugé bon de requinquer ses troupes déprimées par l’épisode. Il l’a fait dans une formule qui rappelait le « grand débat » de l’an dernier : debout, micro en main, dans la salle des fêtes de l’Elysée, pour répondre aux doléances des quelque 320 élus présents.

En cette mi-temps de son quinquennat, Emmanuel Macron a commencé par jouer les entraîneurs de vestiaire. « Compte tenu de ce que vit le pays, il y a un devoir d’unité. Ou on réussit ensemble ou on échoue ensemble », a-t-il martelé, selon des participants. Un mot d’ordre doublé d’un avertissement, alors que les départs de députés de la majorité se multiplient : « J’ai vu le quinquennat précédent se disloquer sur des initiatives personnelles. Les gens qui faisaient les plateaux de BFM en solitaire n’ont jamais été réélus. » Une référence aux frondeurs qui s’étaient rebellés contre François Hollande.

"Soyez fiers d'être amateurs"

« Si les professionnels, ce sont ceux qu’on a virés il y a deux ans et demi, et que les amateurs, c’est vous, alors soyez fiers d’être amateurs », a également lancé Macron. Et de poursuivre, tout aussi modeste : « Ce qu’on a réussi il y a deux ans n’est pas une parenthèse. C’est la nouvelle vie politique. »

Sauf que Macron a beau se prendre pour l’instaurateur du « nouveau monde », il n’est tout de même pas complètement sourd aux multiples mécontentements qui montent du pays. Et alors que le député Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du Raid, l’interrogeait sur la sécurité et le maintien de l’ordre, il a tenté de mettre des mots sur le sentiment des Français. « A force de voter, on pense qu’il y a un pays légal et un pays réel. On vote et ça n’a jamais d’effets », a déploré Macron, reprenant les célèbres expressions de Charles Maurras. « Il faut se concentrer sur la manière de mettre en œuvre », a-t-il ajouté.

Macron l'enchanteur...

« Une fois qu’on aura passé les retraites, à l’été, il y aura une respiration, avec une nouvelle page », a promis Emmanuel Macron, en annonçant un séminaire entre le gouvernement et la majorité cet été pour travailler sur les futures priorités. Car pour lui, « la fin du quinquennat, après les retraites, c’est le régalien et l’écologie ». Deux marqueurs censés le préserver à la fois sur sa droite et sur sa gauche. D’une part, les cadres de la Macronie redoutent un scénario à la Jospin en 2002 : le candidat socialiste avait négligé les sujets sécuritaires qui imprégnaient la campagne et Jean-Marie Le Pen s’était imposé à sa place au second tour. D’où l’offensive souhaitée par Macron - mais encore très vague - sur la lutte contre « les séparatismes », un terme qu’il a répété mardi. Seconde hypothèse redoutée par les proches du chef de l’Etat : un pôle écologiste qui parviendrait à réveiller la gauche d’ici 2022.

Cap sur la présidentielle, donc. Devant ses troupes, Macron a encore appelé à « choisir quelques enchantements simples et se mobiliser à fond sur les deux dernières années. Il faut cinq à dix sujets simples qu’on scandera partout pour être associés à ça. On a trop communiqué sur des choses compliquées, pas assez tangibles. » Mais n’est-il pas trop tard pour que la Macronie se mette à parler la même langue que les Français ?


Le changement climatique a un coût... et il avoisinera les 440 milliards d'euros par an d'ici à 2050

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Si les prévisions sont alarmantes, l'organisme a toutefois déclaré que des mesures d'urgence peuvent encore être prises pour limiter les dégâts.
Dans une étude publiée ce 12 février, le WWF alerte sur les conséquences économiques du changement climatique. Le PIB français pourrait être amputé de plus de 7 milliards d'euros par an d'ici à 2050, si aucune mesure d'urgence n'est prise.

L'impact économique du dérèglement climatique est immense. Dans une étude publiée ce 12 février, l'association WWF alerte sur ses conséquences économiques. Le PIB mondial pourrait ainsi perdre près de 440 milliards d'euros par an d'ici 2050, soit l'équivalent du cumul des économies du Royaume-Uni, de la France, de l'Inde et du Brésil. Karen Ellis, directrice de l'économie durable chez WWF a déclaré ce mercredi 12 février au Guardian que les gouvernements doivent s'attendre à ce que les effets économiques du changement climatique s'accroissent : "Le coût réel sera probablement plus élevé. C'est la première fois que nous tentons de faire une étude aussi complète, donc ce sont des estimations préalables". En partenariat avec le Global Trade Analysis Project et le Natural Capital Project, la WWF a réalisé un classement des pays qui seront les plus touchés.

La France dans le top 10 des pays les plus touchés

Le rapport révèle que la détérioration des habitats naturels - des forêts ou encore des récifs coralliens – entraînerait la disparition d'éléments essentiels aux écosystèmes, et réduirait ainsi considérablement le nombre de poissons, ou encore d'insectes pollinisateurs. En conséquence, 140 états perdront des sommes exorbitantes dû à la disparition des ressources. Les prix des produits alimentaires devraient eux aussi augmenter – notamment dans le secteur agricole. D'ici à 2050, le prix du bois connaîtra une hausse de 8%, de 6% pour le coton, de 3% pour les fruits et légumes.

Les États-Unis seront les premiers perdants, avec une perte de PIB avoisinant les 76 milliards d'euros par an. Celui du Japon, en deuxième place de ce sombre classement, se verra amputé de 19 milliards d'euros. Des baisses conséquentes liées à l'augmentation des phénomènes d'inondations et d'érosion, qui endommageront les terres agricoles ou les infrastructures côtières. La France n'est pas épargnée non plus, et entre dans le top dix – à la dernière place. D'après le WWF, l'Hexagone sera fortement touché par l'érosion des côtes, la baisse de production halieutique – l'exploitation des ressources aquatiques -, ou encore la limitation du stockage de carbone.

Si ces prévisions sont alarmantes, l'organisme a toutefois déclaré que des mesures d'urgence peuvent encore être prises pour limiter les dégâts. "Nous avons besoin d'un leadership mondial urgent et d'une action immédiate pour changer la façon dont nous utilisons nos terres", a déclaré Katie White, directrice des plaidoyers et des campagnes à la WWF. "Cela doit-être soutenu au Royaume-Uni par des politiques audacieuses pour réduire notre empreinte mondiale, de futurs accords commerciaux qui rejettent clairement la déforestation ainsi que d'autres mauvaises pratiques agricoles", a-t-elle ajouté.

Pourquoi comparer le populisme aux années trente n'a aucun sens

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Ghislain Benhessa explique pourquoi il est illusoire de comparer le populisme et les années trente.

Un lieu commun : voilà ce que sont devenues les années trente. Depuis la montée en puissance des démocraties illibérales, la multiplication des frondes sociales, l’irruption tonitruante de Donald Trump et le Brexit arraché par Boris Johnson, la référence aux années trente est la marotte des débats intellectuels. Et c’est à chaque fois la même chanson : le populisme comme signe d’implosion de la démocratie, irradiée par un autoritarisme tout droit sorti des limbes tragiques de l’entre-deux guerres. A coup de rapprochements et d’analogies, de leçons et de mises en garde, d’impératifs mémoriels et de souvenirs traumatiques, le spectre des années trente est brandi pour disqualifier toute critique à l’égard de l’éden démocratique contemporain. Comme si un bref coup d’œil dans le rétroviseur de l’histoire prouvait que le populisme a pour corollaire systématique la destruction de l’État de droit et des libertés individuelles.

Le populisme n'est pas le fascisme

Mais c’est là doublement se fourvoyer. D’abord parce que réduire les populismes d’aujourd’hui au fascisme d’antan revient à les faire rentrer au chausse-pied dans les catégories figées du passé. Or, comme chacun sait, on se baigne rarement deux fois dans le même fleuve. Ensuite et surtout, loin du poupon fragile exposé aux premiers frimas, l’État de droit s’est justement doté, depuis la Seconde Guerre mondiale, de mécanismes de défense gravés dans les textes et sanctifiés par les tribunaux. Jusqu’à devenir la marque distinctive des démocraties occidentales. N’en déplaise aux craintifs de tous bords et aux apôtres du statu quo, l’État de droit est loin d’être une espèce en voie d’extinction. Pour la simple et bonne raison qu’il n’a plus rien à voir avec ce qu’il était dans les années trente. Halte aux comparaisons toutes faites, aussi séduisantes pour l’esprit que néfastes au décryptage du réel. Pour reprendre la formule de Peguy, "il y a quelque chose de pire que les mauvaises pensées. Ce sont les pensées toutes faites."

L’État de droit n’a donc strictement plus rien en commun avec sa version balbutiante de l’entre-deux guerres

A l’époque, l’État de droit était faible car il ne désignait rien d’autre que le respect formel des règles. Peu importe leur contenu, seul comptait le fait de les respecter. Mais à l’issue du second conflit mondial, par réaction aux expériences totalitaires, il s’est peu à peu enrichi : inscription dans les constitutions de principes universels, influence grandissante de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, développement tous azimuts des libertés individuelles, etc. L’État de droit s’est fait objectif de politique générale et progressiste, sous la férule décisive de l’Union européenne, elle-même guidée par la philosophie universaliste et contre-identitaire de son parrain spirituel, Jürgen Habermas. L’État de droit n’a donc strictement plus rien en commun avec sa version balbutiante de l’entre-deux guerres. Il est passé de l’état de brouillon à celui de modèle, d’artifice à standard, de concept délicat à réalité politique, au point d’être aujourd’hui confondu – à tort d’ailleurs – avec la démocratie elle-même. Soit la preuve éclatante de son succès et de son omnipotence.

Postuler la mort de l’État de droit sous les assauts populistes est une chimère à la fois simpliste et réconfortante.

La conclusion est sans appel. Postuler la mort de l’État de droit sous les assauts populistes est une chimère à la fois simpliste et réconfortante. Simpliste car elle mésestime la spécificité des populismes actuels pour mieux les rabattre sur les expériences apocalyptiques du XXe siècle. Un bon vieux Satan, c’est toujours pratique. Réconfortante car elle permet d’agiter sans vergogne le chiffon rouge du fascisme et de l’antisémitisme, hymne du nouveau monde macronien. Ou plutôt reprise d’une recette vieille comme le monde : transformer l’adversaire politique en ennemi public. Encore la meilleure méthode pour se mettre l’opinion dans la poche. Mais jusqu’à quand ce refrain commode suffira-t-il ? Rendez-vous aux présidentielles.

"L'agressivité à l'encontre de Greta Thunberg est proportionnelle à la gravité de l'accusation qu'elle lance"

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"Le consensus scientifique estime que le shift se situe aux alentours de 2050, et que la condition pour l'éviter, c’est d’agir tout de suite. C’est ce que dit Thunberg, et elle a raison."
Bernard Stiegler est philosophe. Spécialiste des questions liées aux nouvelles technologies, il a fondé en 2005 Ars industrialis et dirige depuis 2006 l'Institut de recherche et d'innovation (IRI). Il vient de faire paraître le deuxième tome de "Qu'appelle-t-on panser ? Les leçons de Greta Thunberg".

Dans Qu'appelle-t-on panser ?(Les Liens qui libèrent), Bernard Stiegler affirme que Greta Thunberg bouscule et choque une "dissociété" devenue profondément immorale et irresponsable. Il utiliser la jeune suédoise pour proposer une réflexion sur la crise écologique.

Marianne : Pouvez-vous nous expliquer le lien que vous faites entre penser et panser ? Ce lien est-il déjà présent chez Heidegger dont vous reprenez le titre ?

Bernard Stiegler : Le premier à avoir établi que la pensée était une façon de panser, c'est Heidegger dans Être et Temps (1927) lorsqu'il fait du souci (die Sorge) une disposition primordiale du Dasein. Pour Heidegger, se poser la question de l'être, c'est nécessairement l'inscrire dans une perspective historique où il s’agit de soigner ce qui reste à venir du passé. Dans Temps et Être (1962), Heidegger postule qu'il faut désormais penser l'être à l'aune de la technique moderne (Gestell). Le Gestell correspond au développement de ce qu'on appelle aujourd'hui la technosphère. Lorsqu'il pose ces questions, Heidegger a cinquante ans d'avance, anticipant l’épreuve de l’Anthropocène, mais il évacue la question essentielle de l'entropie, théorie formulée au XIXe siècle qui soutient que l'univers est travaillé par une dissipation de l'énergie absolument irréversible, que toute matière est de l'énergie qui est vouée à se dissiper.

Cette théorie va se traduire au XXe siècle à travers l’expansion de l’univers qui n'est donc pas stable, ce qui est mis en évidence par Hubble. Puis Schrödinger soutient que le vivant se caractérise par sa capacité à limiter l'entropie en gardant l'énergie, la retenant de se dissiper pendant un certain temps. Ce point est aujourd'hui au cœur de la problématique de l'Anthropocène. La transformation de la biosphère en technosphère accélère considérablement la production d'entropie. Il faut désormais inventer une économie industrielle qui soit capable de produire de la néguentropie – et de lutter contre la croissance de l’entropie.

"Greta Thunberg reformule, sur un registre totalement différent, ce qu'Antigone exprime dans la fameuse pièce de Sophocle"

Selon vous, nous assistons avec Greta Thunberg à un renversement inédit : ce sont désormais les enfants qui sont du côté de la sagesse et de la responsabilité tandis que les adultes sont du côté de la puérilité et du caprice. Comment expliquez-vous cette absence de bienveillance des adultes vis-à-vis des générations futures ?

J'avais montré dans Prendre soin (2008) et dans La télécratie contre la démocratie (2006) que le développement du marketing, surtout après la Deuxième Guerre mondiale, repose sur une infantilisation structurelle des masses et de leurs "représentants". Le marketing se substitue aux parents, les court-circuite et les infantilise. Or on devient adulte en s’occupant des enfants, par exemple en les élevant, en devenant responsable des plus jeunes générations. Toute l'économie consumériste, depuis le développement des industries culturelles (radio, télévision, cinéma), se fonde sur une infantilisation et une irresponsabilisation des parents. À un tel point que certains, comme le président de l'association des amis du Palais de Tokyo, ont appelé au meurtre de Greta Thunberg sur les réseaux sociaux. C'est un délit extrêmement grave. C'est un indice d'irresponsabilité absolue de la part d'une personne qui a occupé des fonctions très importantes, comme banquier puis sponsor en chef de l’art contemporain.

À mes yeux, Greta Thunberg reformule, sur un registre totalement différent, ce qu'Antigone exprime dans la fameuse pièce de Sophocle. Antigone défend la loi divine contre la loi écrite par les hommes qui ne voient pas qu'il y a des règles qu'on ne peut transgresser – et qui sont dites divines en cela. Je comprends que Greta Thunberg puisse choquer. Son attitude intransigeante et donc rigide peut donner le sentiment qu’elle serait bornée. Je crois tout au contraire qu'elle a des principes et je la remercie d’être intraitable, parce qu’en ne se laissant absolument pas impressionner par le système médiatique qui a infantilisé ses ascendants, elle a réussi à mobiliser des millions de jeunes gens qui se reconnaissent en elle. Je pense qu'elle dit vrai sur le mode de ce que les Grecs appelaient la parrhèsia. Elle est en décalage par rapport à un système qui, tout le monde le sait, va dans le mur. On l'accuse de tous les maux parce qu'en réalité elle nous met tous en cause par cette position de radicalité absolue qui oblige à se situer – non pas face à elle, mais quant à nos responsabilités dans l’Anthropocène.

Vous faites un lien entre le "sapere aude" ("Ose savoir !") de Kant, la devise des Lumières, et le "Comment osez-vous ?" de Greta Thunberg. À l'impératif kantien se substitue donc une question qui est en réalité une mise en accusation. Dans quelle mesure Greta Thunberg nous invite-t-elle à penser afin de panser le monde ?

Kant posait que l’esprit des Lumières consistait à autoriser et encourager chacun à cultiver sa raison. Or, les Lumières constituent le préalable conduisant à l’industrialisation et à la modernisation : c'est l'intégration des mathématiques et de la physique dans la production économique, ce qui va engendrer l'Anthropocène. Le "Comment osez-vous ?" de Greta Thunberg est une remise en cause des Lumières. Je ne suis pas un antimoderne, mais je ne suis pas un moderniste non plus. Cette interpellation est le symptôme d'une très grande crise du savoir. La question qui organise mon livre est la suivante : la science panse-t-elle ? Aujourd'hui, la plupart des citoyens considèrent que la science n'est plus à notre service, mais au service du profit des actionnaires. Cette tendance se vérifie dans les politiques scientifiques des universités et des grands établissements scientifiques (CNRS, INSERM...). Comme scientifique, vous êtes jugé aujourd'hui en fonction de votre capacité à servir les groupes industriels dans la guerre économique. J’ai de l’admiration pour les réalisations de l'industrie, je travaille avec des ingénieurs et des industriels, mais ceux-ci ne doivent pas être aux commandes sur ces questions toujours court-termistes. La science et infiniment long-termiste – radicale, si vous voulez.

D'un point de vue médiatique, Greta Thunberg a fait l'objet en France d'une campagne "indigne" et "ignominieuse", dites-vous. Comment expliquez-vous l'attitude à son égard d'un Luc Ferry, d'un Laurent Alexandre ou encore d'un Michel Onfray ? Sachant que Greta Thunberg ne dit qu'une seule chose : écoutez les scientifiques du GIEC.

En règle générale, la presse commerciale a l'habitude de faire du Hollywood, mettant en scène des gentils et des méchants. Les rôles deviennent alors de plus en plus caricaturaux. On réduit Greta Thunberg à une caricature et on lui oppose d'autres caricatures qui se vautre honteusement dans ce spectacle. L'agressivité extraordinaire à son encontre est proportionnelle à la gravité de l'accusation qu'elle lance. Certaines personnes se sentent profondément atteintes dans leurs certitudes et leur mode de vie. Luc Ferry, qui a pu écrire des choses à peu près dignes autrefois, n'est plus qu'un pitoyable chroniqueur. Laurent Alexandre est un businessman très ambigu, expert en story-telling, qui essaie de faire pénétrer les idées transhumanistes en France, et il tente d’abattre Greta Thunberg, pour s’en nourrir – tels les vautours mangeant le corps de Polinyce.

Plus généralement, que pensez-vous des thèses des "cornucopiens", ceux qui croient que la technologie permettra à l'homme de subvenir éternellement à ses besoins matériels ?

Cette théorie s'appuie sur les vues des extropiens, mouvement fondé par Max More, qui pensent que l'on peut augmenter l'homme indéfiniment. Ils se nomment ainsi car ils soutiennent que l'homme est capable d'éliminer l'entropie, ce qui est totalement antiscientifique. Ces gens peuvent tenir ce discours parce que la théorie de l'entropie, qui est essentielle, n'est toujours pas enseignée au lycée et au collège, ce qui est scandaleux. Pourquoi ? Parce que l'économie actuelle est basée sur l'exploitation de l'entropie. Beaucoup de gens construisent sur ces questions un story-telling, un marketing de très haut niveau, tel Elon Musk qui prétendait il y a quelques années partir à la conquête du système solaire et qui est aujourd'hui en dépression (sans "segment sol" il n’y a pas de voyage interplanétaire possible). L'entropie est insurmontable, tout comme la mortalité. La biosphère impose des limites.

"Derrière l'Anthropocène, c'est une remise en question fondamentale de l'épistémologie de toutes les sciences qui est posée"

Vous vous penchez longuement sur un article de Jean-Baptiste Malet dans Le Monde diplomatiquequi remet en question la réalité de l'ère Anthropocène pour lui préférer la thèse de l'âge Capitalocène. Que reprochez-vous à cette approche basée en grande partie sur les travaux de Jason Moore ?

La thèse du Capitalocène de Jason Moore est très intéressante, mais je pense qu'elle est exploitée de manière irresponsable par Jean-Baptiste Malet quand il conclut son article en disant qu'un autre effondrement est possible, celui du capitalisme. Il faut écouter les scientifiques, comme le dit Greta Thunberg : 95% de la communauté scientifique mondiale se reconnaît dans les travaux du GIEC. Que dit le GIEC ? Qu'un changement de trajectoire est nécessaire pour éviter le shift, c'est-à-dire le moment où une bifurcation chaotique apparaît et où nous perdons le contrôle. Le consensus scientifique estime que le shift se situe aux alentours de 2050, et que la condition pour l'éviter, c’est d’agir tout de suite. C’est ce que dit Thunberg, et elle a raison.

Qu'entend-on exactement par Anthropocène ? Une période dans laquelle l'homme devient une puissance perturbatrice majeure et a donc à lui seul la capacité de modifier les grands équilibres de la biosphère. Pour se positionner sur cette question, il est selon moi indispensable d'avoir étudié les travaux du biologiste et mathématicien Alfred Lotka qui soutient dès 1945 que l'homme est un être singulier en ce qu’il produit des organes "exosomatiques", c'est-à-dire des organes artificiels, et qu'avec ces derniers, il est en train de perturber l'ordre naturel.

Soutenir, comme le fait Malet, que nous sommes dans l'âge Capitalocène et qu'il suffit de renverser le capitalisme pour que les choses s'améliorent, c'est commettre une grave erreur. Il y a urgence. La chute du capitalisme ne se fera pas dans les échelles de temps imposées. Et si cette chute aboutit à des régimes comme le XXe siècle en a connus, ce n'est pas la peine ! En réalité, derrière l'Anthropocène, c'est une remise en question fondamentale de l'épistémologie de toutes les sciences qui est posée.

Lourdeur bureaucratique, manque d'effectifs, déficit de formation... La difficile gestion du handicap en milieu scolaire

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Dans son copieux discours sur le handicap prononcé ce 11 février, Emmanuel Macron a notamment promis de scolariser dès la rentrée prochaine les 8.000 enfants handicapés en situation d’attente, et de viser "le recrutement de 11.000 accompagnants d’ici 2022". De bonnes intentions, certes. Mais quid de l'action ?

Les enseignants sont un peu autistes, à leur manière : dans le copieux discours d’Emmanuel Macron sur le handicap prononcé le 11 février, ils n’ont retenu que ce qui les concernait directement. « La solution, a dit le président de la République, ce n’est pas un accompagnant par enfant» — non, ce serait du luxe… Il faut « mieux former nos enseignants ». Et pour cela, « un module handicap sera intégré dans la formation des professeurs des écoles et des enseignants du secondaire. Si on forme mieux les enseignants, on n’a pas forcément besoin d’un accompagnant à temps plein.»

À noter, pour être complet, qu’il a aussi promis (en scandant ses phrases d’un «je veux» qui m’a rappelé l’avertissement de ma mère, quand j’étais gosse : « Seul le roi dit "je veux"») de scolariser dès la rentrée prochaine les 8.000 enfants handicapés en situation d’attente, et de viser « le recrutement de 11.000 accompagnants d’ici 2022». « Des bonnes intentions », dit le Figaro, brûlot anti-gouvernemental bien connu. Oui — mais l’action ?

univers enfantin

Le chef de l’Etat a une vision quelque peu idyllique de l’univers enfantin. « Il suffit de voir ce qu’est une classe quand un enfant en situation de handicap arrive… Une fois qu’on a mis le collectif en disant c’est un enfant de la nation comme les autres, on va s’organiser, la classe l’accueille, la classe est plus forte. » Sans doute a-t-il oublié que comme disait La Fontaine, « cet âge est sans pitié». C’est même l’un des objectifs de l’enseignement, lui apprendre cette pitié dont il est dépourvu. Pour avoir sanctionné il y a cinq ans des comportements d’agression et de harcèlement d’étudiants majeurs envers une camarade au handicap léger, j’ai des doutes sur la réalisation de cet objectif.

D’autant que l’école, dit Macron, doit être « inclusive », et accueillir aussi bien les handicapés moteurs que les autistes, les dyspraxiques, les dyslexiques, les dyscalculiques, et j’en passe. Le « module handicap » enseigné dorénavant dans les INSPE suffira certainement à colmater ces besoins si divers… Comme dit une collègue : « Plus besoin d'AESH [Accompagnants d’Elèves en Situation de Handicap] à temps plein pour les enfants en situation de handicap puisqu'il y aura un module de formation sur le handicap dans la formation initiale des enseignants !»

Et d’ajouter, tongue in cheek (elle est prof d’anglais) : « Je propose un module « médical » pour remplacer les infirmières scolaires, un module « maçonnerie » pour s’occuper de la réfection des bâtiments scolaires, un module « social » pour remplacer les AS, un module « gestion » pour remplacer les gestionnaires, etc. La revalorisation du métier d’enseignant selon Macron : pas d’augmentation des salaires, pension de retraite divisée par deux et alourdissement de la charge de travail !»

Tous des autistes, vous dis-je… Ils ne voient que le petit bout de leur lorgnette…

Il faut savoir de quoi l’on parle. J’ai donc demandé à Isabelle B***, elle-même enseignante, et heureuse maman de deux enfants handicapés, un garçon aujourd’hui âgé de 12 ans, autiste Asperger, dysgraphique, dyspraxique, déficit de l’attention, hyper-activité — un tableau assez fréquent en fait — et une petite fille de 6 ans, autiste non-verbale, handicapée sérieusement suite à un accident à la crèche.

Comme elle me l’écrit — et je tiens l’intégralité de son témoignage à la disposition du lecteur via la rédaction de Marianne—, après le signalement fait par l’instit' de CP, il a fallu déjà deux ans de bilans successifs pour arriver, pour le premier, à un diagnostic complet. Entretemps, il a eu en CE1 un instit' qui le privait régulièrement de récré parce qu’il n’avait pas fini son travail en même temps que les autres. Sans doute n’avait-il pas suivi de module de formation, et il faudra évidemment penser à ces 850 000 enseignants confrontés à des handicaps divers et qui n’ont jamais été formés à cet effet. Puis en CE2 une enseignante plus intuitive qui a mis elle-même en place des aménagements — faire des dictées moins longues, par exemple. Du bricolage plein de bonnes intentions.

lourdeur bureaucratique

« Une fois les bilans en main, explique Isabelle B***, nous avons rempli un dossier à la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) pour que le handicap de Gabriel soit reconnu et qu’il puisse obtenir les aménagements nécessaires à la poursuite de sa scolarité. En principe, quand votre enfant est reconnu handicapé par la MDPH, une ESS (Equipe de Suivi et de Scolarisation) doit se tenir dans son établissement scolaire en présence des ses parents et professionnels de santé pour remplir un GEVA-SCO (Guide d'évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation) et un PAP (Plan d’Accompagnement Personnalisé). Ces documents sont transmis à la MDPH par l’enseignante référente du handicap pour appuyer votre demande d’AVS (Auxiliaire de Vie Scolaire, aussi appelée AESH, Accompagnant des Elèves en Situation de Handicap) qui guidera votre enfant en classe pour compenser ses difficultés. Les textes officiels précisent bien que les comptes-rendus et les documents doivent être soumis aux parents et professionnels pour accord avant transmission à la MDPH.»

Passons sur la lourdeur bureaucratique du processus, justement soulignée par Macron. Mais l’histoire a une suite : "Dans le cas de notre fils, notre demande d’AVS fut refusée par la MDPH pour le motif suivant : « Les aménagements scolaires et les compensations mis en place sont adaptés aux besoins de votre fils. L'accompagnement par un AVS pourrait nuire à son autonomie »." Magnifique argument.

En fait, le GEVA-SCO avait été rempli par un enseignant qui considérait que l’attitude de l’enfant était de la paresse pure — dossier à charge, comme on dit en justice. Après avoir pris un avocat — en vérité je vous le dis, il n’y a que la force qui fait plier l’institution —, le jeune homme s’est vu attribuer une AVS « mutualisée », c’est-à-dire partagée entre plusieurs handicapés divers. L'IA-DASEN du Rhône a d’ailleurs envoyé une note indiquant qu’ « une personne qui effectue vingt heures par semaine pourra accompagner trois élèves porteurs de handicap et un personnel qui effectue vingt-quatre heures par semaine pourra en accompagner quatre, dans la mesure du possible. »(Note de service du 24 août 2017).

le temps morcelé des auxiliaires de vie scolaire

Dans un collège proche de chez moi, une AVS qui accompagne un élève de 6ème part à toute allure à 11h et demie pour se rendre à l’école primaire du secteur — qui n’est pas « de l’autre côté de la rue» — pour s’occuper d’un gamin et l’aider à manger, ce qu’il ne peut faire seul. Et effectivement, la plupart de ces AVS ont des emplois du temps morcelés, et rarement complets : elles (ce sont la plupart du temps des femmes) se décarcassent donc pour un salaire qui frise les 800 € par mois — Byzance… Telle AVS « mutualisée » d’un collège proche s’occupe ainsi de 4 gamins en situation de handicap, soit 4 handicaps différents (un aveugle et des multi-dys) sur quatre niveaux différents. Sûr que s’occuper exclusivement de l’aveugle nuirait à son autonomie, et à celle du chien qui l’accompagne en classe…

Ajoutons que les courriers — je les ai sous les yeux — adressés depuis juin 2018 au rectorat par le député du coin — Olivier Falorni, un Radical qui a la grand tort de siéger dans le groupe Libertés et Territoires, farci d’indépendantistes corses, ces gueux — à propos de la fille d’Isabelle B*** sont restés sans écho. Sa fille, handicapée à 80% (c’est beau, les chiffres, ça occulte la réalité du handicap), est scolarisée dans une école Montessori avec une AVS rémunérée par les parents, et aux dires de l’institution, elle n’a pas besoin d’une aide individualisée : « Les besoins de l’enfant, dit la directrice MDPH, nécessitent la présence d’un auxiliaire mutualisé», dont l’intervention « sera orientée vers les activités de la vie sociale et relationnelle…» Ça lui fait, si je puis dire, une belle jambe.

Alors entre en jeu la mécanique kafkaïenne de l’administration, dont Emmanuel Macron a souligné la lourdeur — il ne risquait rien à le faire : « Si l’on souhaite contester, explique la mère en colère, une décision de la MDPH, il faut obligatoirement faire un recours RAPO (Recours Administratif Préalable Obligatoire). Si la MDPH ne répond pas à ce RAPO dans un délai de deux mois, cela équivaut à une décision implicite de rejet de sa part. Dès lors, on a deux mois pour envisager de faire un recours contentieux auprès du pôle social du Tribunal de Grande Instance dont on dépend, ce qui rallonge évidemment les délais vu que les TGI sont débordés. Conséquence, les enfants en situation de handicap se retrouvent sans AVS pendant des mois, voire des années, et sont donc forcément soit en échec scolaire soit non scolarisés.»

On ne s’improvise pas éducateur spécialisé, c’est un métier.

D’autant que le garçon d’Isabelle, pendant ce temps, qui avait eu la chance d’avoir au CM2 un instit' qui avait été formé au Canada à la gestion des handicapés, s’est retrouvé en 6ème— dix profs, et autant de risques d’incompétences accumulées (entendons-nous : ce n’est pas leur faute, on ne s’improvise pas éducateur spécialisé, c’est un métier).

Mais tout va s’arranger, la prochaine génération d’enseignants aura bénéficié du module handicap. J’aurais cru, moi, qu’il fallait prioritairement les initier à l’art d’apprendre à lire, à écrire et à calculer selon des méthodes rigoureuses qui ne soient pas celles des pédagos qui contrôlent encore la formation — mais le handicap vient désormais en tête. Les futurs enseignants — aucun problème pour les recruter, bien sûr — en sus de savoirs disciplinaires qu’ils n’ont pas et de compétences pédagogiques qu’on leur fait miroiter sans les leur donner, devront aussi savoir s’occuper des handicapés divers et variés : une prof de Lettres, en 6ème, en a 14 dans la même classe de 24 élèves — et deux ou trois AVS pour gérer tout ça. Plus le chien. Bonne chance.

Craquage : quand Brune Poirson imagine le saccage de Radio Classique... par Europe écologie-Les Verts

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"Les mots ont un sens. Est-ce un parti qui se comporte en défendant des valeurs démocratiques ou pas ?", s'interroge Brune Poirson à propos d'EELV.
La secrétaire d'Etat Brune Poirson, interrogée par Radio Classique ce 12 février sur ses détracteurs au sein d'Europe écologie-Les Verts (EELV), a estimé, à en juger par leurs réactions après l'intrusion de militants écologistes dans les locaux de BlackRock, que ses cadres pourraient représenter une menace pour la démocratie.

Le coup des "Khmers verts" n'était pas loin. Ce mercredi 12 février, la secrétaire d'Etat Brune Poirson, interrogée par Radio Classique sur ses détracteurs au sein d'Europe écologie – Les Verts (EELV), a estimé, à en juger par leurs réactions après l'intrusion de militants écologistes dans les locaux de BlackRock, que le parti pourrait représenter rien de moins qu'une menace pour la démocratie.

(Voir la vidéo ci-dessous à partir de 07:58)

"Peut-être que si jamais un jour ils arrivent au pouvoir, si vous faites un jour un édito Guillaume Durand, qui ne convient pas à Europe écologie – Les Verts, peut-être qu'ils viendront aussi saccager les locaux de Radio Classique", a lancé Brune Poirson, en référence aux dégradations des locaux du géant américain de la finance BlackRock ce lundi. Notons toutefois que les despotes présumés d'EELV n'ont pas participé à cette intrusion, contrairement à ce que suggère la secrétaire d'Etat.

Mais il s'agit là d'un menu détail : en guise de preuve de la dérive dictatoriale d'EELV, Brune Poirson s'appuie sur les propos tenus, la veille sur France Inter, par le secrétaire national du parti, Julien Bayou, qui aurait selon elle "di[t] à la radio que finalement, il ne condamnait pas des actes violents, [alors que] le siège de BlackRock a été dévasté".

"Ces dégradations sont idiotes"

Sur la radio publique, l'écologiste était pourtant loin d'appeler à l'émeute. "Moi ce que je condamne, c'est BlackRock, premier investisseur dans le fossile, premier investisseur dans l'Amazonie", a certes expliqué Julien Bayou, avant de préciser : "Je crois à ces occupations, par contre elles doivent être pacifiques et joyeuses. Il n'y a pas de lien automatique entre une occupation festive, entre la désobéissance civique pacifique et le fait que ça dérive en violence."

Dans cette séquence, le représentant d'EELV est d'ailleurs relancé par Léa Salamé, qui lui demande : "Donc la fin justifie les moyens, et tant mieux si le siège parisien [de BlackRock] a été vandalisé hier ?" Réponse de Julien Bayou : "Je vous ai dit tout le contraire. Je vous ai dit que c'était contre-productif, et je vous dis que ces violences – il n'y a pas de violence aux personnes -, que ces dégradations sont idiotes."

Une nuance que Brune Poirson, inquiète de vivre "une période de violence inédite sous la Ve République", ne semble pas vouloir prendre en compte : "Moi je ne défends pas que mes amis. Les règles d'un pays démocratique, c'est qu'on ne violente pas quelqu'un à la tête du client. Quelqu'un, ou une institution, ou une organisation", lance-t-elle, reconnaissant tout de même qu'"en matière de transition écologique, BlackRock doit faire beaucoup, beaucoup mieux".

Et de conclure : "Les mots ont un sens. Est-ce un parti qui se comporte en défendant des valeurs démocratiques ou pas ?" Manifestement la secrétaire d'Etat a déjà sa petite idée sur la question…



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